Histoire de l'Armée du Centre

INCENDIES ET MASSACRES EN 1794

A ST FULGENT, VENDRENNES & ST ANDRÉ

   Il existe peu de témoignages directs des massacres perpétrés en Vendée par les colonnes infernales commandées par la Général Turreau. Aussi, nous publions aujourd’hui sur le présent Blog des documents que l’on nous a prêtés. Ces notes ont rédigées au milieu du XIXème siècle par le comte Auguste de CHABOT (1825-1911), habitant le château du Parc Soubise à Mouchamps en Vendée. Ce dernier est par ailleurs l’auteur de plusieurs ouvrages, dont certains concernent les Guerres de Vendée.


Photo d’Auguste de Chabot.

Colonnes incendiaires du général Dufour :

   1°/    Le 2 février 1794, un officier républicain après la Défaite des Bleus à Chauché, veut regagner le camp républicain de Saint Fulgent, égaré, il frappe à la porte de Mandin ardent royaliste du village de la Bréjonnière de Saint André-Goule-d’Oie ; il était épuisé ; on le recueille et le lendemain on le remet dans son chemin ; il regagne Saint Fulgent. A la fin de février 1794, ce même officier se rend avec une colonne infernale au village de la Bréjonnière, incendie, pille et massacre tout ; la seule maison de Mandin est épargnée ; le reste du village fut réduit en cendres. Dufour et ses lieutenants incendient en même temps le bourg et le château de Saint Fulgent, les fermes et les villages voisins, dont tous les habitants avaient fui dans les bois ou les forêts.
   2°/    Au village de la Lérandière, paroisse de Saint Fulgent, la maison de la famille Auneau était pleine de tous les survivants du village, premièrement de plusieurs vieillards dont les noms sont restés ignorés, deuxièmement de la femme Brisseau et de deux enfants en bas âge, troisièmement de la femme René Auneau, quatrièmement de la femme Perinne Soulard, cinquièmement de la femme You, sixièmement de la femme Gautron et un enfant, septièmement de la femme Jeanne Gaucher, tous sont massacrés par quatre soldats Bleus faisant partie de la colonne infernale ; puis la maison fut brûlée ainsi que tout le village. De là, les 4 misérables arrivent à Preuilly où ils massacrent le seul être vivant qu’ils y trouvent, un vieillard idiot [en fait ils étaient alors dans la commune de Chavagnes-en Paillers]. Un peu plus loin à la Tr.... [illisible !], ils rencontrent deux jeunes enfants dans les champs gardant leurs bestiaux, ils les tuent après leur avoir arraché la langue.


Texte original du comte de Chabot .
   3°/    Le village de la Brossière, paroisse de Saint André-Goule-d’Oie, placé sur la route de Saint Fulgent aux quatre chemins [de L’Oie], et le village de la Guerche [Guierche] paroisse de Vendrennes qui fait face au village de la Brossière, étaient abandonnés par leurs habitants, fuyants la colonne incendiaire de Dufour. Après avoir brûlé ces deux villages, la colonne allait se retirer, quand un traître les conduisit dans un champ de genêts, nommé le Siambord appartenant à la famille You de la Guerche [Guierche], non loin du ruisseau de Vendrennes appelé le Vendreneau [Vendrenneau]. La colonne entoure le champ de genêts où s’étaient réfugiés environ cent personnes, enfants et vieillards ; tout est massacré, et détails horribles, les femmes furent d’abord violées, puis éventrées à coup de sabre pour en retirer « les petits brigands » que les Bleus emportèrent à Saint Fulgent à la pointe de leurs bayonnettes [sic].
   4°/    La femme Gaborieau, du village de la Croupière [Courpière] de Saint Fulgent, est mandée par le citoyen Martineau maire de Saint Fulgent, chez lequel logeait l’état-major de la colonne incendiaire. Elle se rend dans la cour du grand logis de Saint Fulgent avec deux petites filles en bas âge. Les soldats la mènent à la porte du cimetière et la fusillent. Les deux enfants restent toute la nuit dehors et sans manger, le lendemain leurs parents vinrent les chercher et les emmenèrent à demi mortes.

Le grand logis vers 1905.

Guet-apens de Saint Fulgent :

   Deux jours avant la bataille de Saint Fulgent le 27 janvier 1794 [il s’agit de la 2éme bataille], le général qui commandait le camp républicain et le citoyen Martineau maire invitent par lettre les paysans des paroisses voisines (connus) pour leurs opinions royalistes, à venir assister à la plantation d’un arbre de la liberté, leur promettant sauf-conduit et amnistie complète.
   Après la cérémonie, tous les paysans sont invités à se rendre dans la cour du Grand Logis où des barriques de vin blanc et de vin rouge les attendent. Une fois entrés « Diable, dit Martineau en se mordant le bout des doigts, tous mes moutons ne sont pas là ».
   On ferme les portes du Grand Logis, on y place des sentinelles, le général et le citoyen maire s’installent à une table, en commission militaire, et font une véritable instruction judiciaire. Ils demandent à chaque Vendéen à quelle bataille il a assisté, s’il a tué beaucoup de Bleus, etc…etc…. Chaque réponse est inscrite à côté du nom de chaque interrogé. Pendant ce temps là, sur les 40 Vendéens enfermés dans la cour du Grand Logis, quatre réussissent à se sauver. Les nommés Bourasseau, Poirier et Monereau en passant par la cuisine et le jardin et le 4éme nommé Pougnon par le petit portail malgré la sentinelle dont il réussit à tromper la vigilance.
   Leurs 36 compagnons sont liés deux à deux et couchent à la belle étoile dans la cour du citoyen Martineau.


Le jardin actuel de l’ancien Grand Logis.
  

   Le lendemain, les soldats les conduisent à Chantonnay et les enferment dans la prison. Épuisés de fatigue et n’ayant rien pris depuis la veille, les prisonniers obtiennent la permission d’envoyer chercher du vin, font griser la sentinelle et plusieurs s’échappent par une étroite fenêtre. Tous se seraient sauvés si la sentinelle n’avait été avertie par un habitant de Chantonnay. Les quatre qui s’évadèrent se nommaient Papin du Puygreffier [Puy-Greffier], Sionneau de Saint Fulgent, Rondeau de Saint André, Boudeau de Doulay. Les 32 autres furent emmenés le lendemain à Fontenay.
   Ce fut dans la prison que l’héroïsme de ces soldats de la foi, brilla du plus vif éclat. Pendant qu’on les emmenait, liés deux à deux pour les fusiller en dehors de la prison, l’un d’eux, sacristain de Saint André, exhortait ses compagnons à bien mourir. En attendant son tour, il entonnait le « Libéra » d’une voix forte ; tous répondaient et faisaient retentir la prison de cette dernière prière :
   [« Libera me Domine, de morte ætérna, in die illa treménda. Quando cœli movéndi sunt et terra. Dum véneris judicàre sæculum per ignem…… »].
   Parmi les victimes connues, on compte Michelau de Saint André, Soulard, trois frères Mandin, Bégaud, Douillard, Bordron, Robin, Fonteneau, Maindron, Louis Bordron, Achard, Mandin de la Chaunière, ces derniers de la paroisse de Saint Fulgent et le sacristain de Saint André-Goule-d’Oie.
   Maquigneau boulanger à Saint Fulgent, échappa seul, par miracle, au massacre. Au moment où les sinistres gendarmes faisaient crier sur ses gonds la porte de la prison, pour emmener le dernier prisonnier, Maquigneau, resté seul avec le brigadier lui demanda s’il ne se rappelait pas d’être entré souvent dans sa boutique pour acheter du pain, il ajouta que c’était lui qui en avait toujours fourni au camp républicain. En considération de ses services, le gendarme le fit cacher derrière une porte. Quelques jours après, Maquigneau parvint à regagner Saint Fulgent.

Une prison de Fontenay-le-Peuple.
 

    Le citoyen Martineau est mort dans son lit, et dans cette même maison, en 1833. Pendant longtemps, tourmenté par une goutte affreuse, il poussait de tels cris que les paysans le croyaient possédé du démon. Il mourut dans l’impénitence finale.

   Tout ceci est extrait des papiers de Monsieur Alexis des Nouhes, d’après les dépositions des survivants à tous ces affreux massacres.

Mouchamps et le Parc Soubise en 1794 :

   La colonne incendiaire du général Grignon arrive à La Flocellière à la fin de février [1794]. Quelques jours plus tard, deux détachements se dirigent l’un du côté de la rive gauche du Petit Lay par Le Boupère, et Rochetrejoux, ayant Mouchamps comme pour objectif ; l’autre du côté de la rive droite par les bas villages de Saint Michel-Mont-Mercure, Saint Paul-en-Pareds ayant pour objectif le Parc Soubise.
   Les deux détachements après l’accomplissement de leur horrible besogne, devaient se rallier à Mouchamps.
   Le premier détachement, après avoir tout mis à feu et à sang sur son passage arrive en vue de Mouchamps. Un des habitants du bourg, nommé Roger s’avance à sa rencontre et demande à parler au commandant de la colonne. Sur son assurance que le bourg ne contient que des républicains dévoués à la Convention et ennemis des Brigands, l’officier commande d’épargner le bourg, et pour pouvoir dire à ses chefs qu’il a rempli les instructions de l’ignoble Turreau, commandant en chef des colonnes infernales, il brûle seulement 4 maisons isolées.
   Ce Roger reçut de ses compatriotes le surnom de « La Menterie » pour avoir affirmé, contre la vérité, que le bourg de Mouchamps n’était composé que de républicains.


Le bourg de Mouchamps vu du Petit Lay .
 

   La seconde colonne, après avoir massacré et brûlé tout sur son passage dans la basse commune de Saint Michel-Mont-Mercure, vint camper le premier jour dans les environs de saint Paul-en-Pareds.
   Le lendemain de bonne heure, elle se dirige vers le château du Parc Soubise, en longeant d’abord la vallée du Lay [du Petit Lay]. Partout sur leur passage, les Bleus mettaient le feu, mais comme ils voulaient arriver dans l’après-midi au Parc Soubise, ils se contentaient d’allumer l’incendie çà et là, sans s’acharner à une complète destruction, ils avaient une plus belle besogne à accomplir.
   Les femmes, les enfants et les vieillards trouvés dans les maisons et dans les champs de genêts, furent placés au centre de la colonne, et forcés de marcher jusqu’au château, une fête vraiment républicaine les y attendait. Je tiens ces détails d’un témoin oculaire nommé Mérit qui avait alors 7 ans. Voici un récif naïf mais terrible dans sa simplicité.
   « Nous étions, mon frère et moi, à pêcher des verdons dans le Lay, près de Saint Paul, quand nous fûmes saisis par les Bleus qui nous conduisirent au milieu d’une troupe de femmes, d’enfants et de vieillards. Ces pauvres gens marchaient au milieu d’eux comme des moutons. Je connus là beaucoup de parents et d’amis, entre autres une cousine à moi, âgée de 20 ans, qui était grande, forte et qui avait tout à fait bonne mine.

Le château du Parc Soubise.

   Arrivés au château du Parc, les Bleus mirent le feu au château, et pendant que le château brûlait, les Bleus nous rangèrent sur deux rangs et tirèrent sur tout le monde à bout portant. Ma cousine fut massacrée près de moi et quand il ne resta que deux ou trois enfants qui avaient été manqués, le chef cria  « c’est assez ». Alors j’ai été sauvé. Aussitôt après, les soldats prirent tous les cadavres, les dénudèrent et les firent griller dans la cour, comme chez nous on grille des gorets ».
   Le vieux père Mérit est mort il y a quelques années, extrêmement âgé, il habitait le village de Boisgoyer, paroisse de Vendrennes à deux pas du Parc Soubise ; je l’ai beaucoup connu, il ne passait pas de vendanges au Parc, sans que le vieux père Mérit n’en fût.
   Le soir de cette horrible scène le détachement rejoignit la tête de la colonne à Mouchamps.
   Mon oncle Alexandre de Chabot raconta en 1852 à Monsieur Alexis des Nouhes le fait suivant qu’il tenait du vieux régisseur du Parc Soubise, l’excellent Monsieur Barbot ; Monsieur des Nouhes m’en a fait le même récit.
   Peu de temps après la scène d’horreur racontée par le père Mérit, dix jeunes Vendéens passaient silencieusement sous les murs du château de Parc [vraisemblablement du côté forêt et non du côté cour], leur attention est tout à coup attirée par un bruit extraordinaire, des cris perçants se mêlant à des gémissements plaintifs, à des chansons bachiques et à d’épouvantables blasphèmes. Ils s’approchent d’une des fenêtres du château, l’un d’eux monte sur les épaules d’un camarade et aperçoit une bande de Bleus qui, au milieu d’éclats de rire et d’imprécations sataniques, se livraient sur de malheureuses femmes qu’ils avaient surprises, aux actes les plus révoltants. Les Vendéens aperçoivent dans un angle près de la porte, les fusils en faisceaux des soldats républicains. Ils forment le hardi projet de s’emparer des misérables ; sautant tous ensemble sur les fusils et ouvrant brusquement la porte de la salle du château où se passait l’orgie, ils couchent en joue les Bleus et les somment de se rendre [Cela se passait plutôt dans les communs car le château était déjà incendié].
La forêt du Parc Soubise .
   Atterrés, les Bleus n’opposent aucune résistance, aidés par les pauvres victimes dont la fureur décuplé les forces, ils attachent les bras des soldats Bleus, les mènent à l’entrée de la forêt du Parc, et là les fusillent. Ils étaient 25, pas un seul n’échappa à la juste punition de leurs abominables forfaits.

   Le récit se poursuit ensuite par l’histoire des familles de Chabot et de Guerry de Beauregard pendant la Terreur et la Révolution de 1791 à 1815, qui pourra faire l’objet d’un autre article...

Les Armoiries de la famille de Chabot.

(D’or à 3 chabots de gueules posés 2 et 1)
Archives Christian de Chabot-Tramecourt.



LA MORT DE D’ELBÉE A NOIRMOUTIER EN 1794 

   Maurice Louis Joseph GIGOST d’ELBÉE (1752-1794), ancien lieutenant de cavalerie, a participé depuis le début à La Guerre de Vendée dans l’armée d’Anjou. Il était ainsi général aux côtés de Cathelineau, Bonchamps, Lescure ou La Rochejaquelein. Jacques Cathelineau, premier généralissime, qui avait été blessé mortellement lors de l’attaque de Nantes le 28 juin 1793, est décédé le 14 juillet suivant à Saint-Florent-le-Vieil. A la suite de sa mort c’est Maurice d’Elbée qui a été élu, à sa place le 19 juillet 1793, comme Généralissime des Armées Catholiques et Royales.

Le Général d’Elbée, tableau de J. B. Paulin-Guérin en 1827 (Musée de Cholet).

   A ce titre, il dirigeait les opérations militaires au cours des différentes batailles qui ont suivies : le troisième échec de la prise de Luçon le 14 août 1793, la victoire du camp des Roches dite bataille de Chantonnay le 5 septembre et surtout la victoire de Torfou contre Kléber et l’avant-garde de l’armée de Mayence le 19 septembre 1793.

   Toutefois, l’armée de Mayence est de plus en plus menaçante et resserre son étau autour des Vendéens, une bataille décisive est donc inévitable. Les insurgés se trouvaient alors à Beaupréau en Anjou et les révolutionnaires venaient de s’emparer du château de la Tremblaye au sud de Cholet. L’affrontement va effectivement avoir lieu aux alentours de cette ville le 17 octobre 1793.

La Bataille de Cholet.

   Dés le début des combats, les armées de Henri de La Rochejaquelein et de Charles de Royrand, général de l’armée du Centre, parviennent à repousser sur le flanc gauche Beaupuy et Haxo qui se replient dans les faubourgs de la ville. Les Vendéens mettent alors le feu aux genets de la lande de la Papinière de façon à ce que l’immense nuage de fumée qui s’en dégage empêche les artilleurs républicains de pointer efficacement leurs canons.

   D’Elbée et Bonchamps attaquent Marceau au centre, que Chalbos est venu renforcer. Une partie des troupes de ce dernier, effrayée par la masse des Vendéens, prend la fuite et jette la confusion. Kléber constatant le danger fait aussitôt donner ses réserves et celles-ci s’efforcent de contourner les lignes vendéennes. Ces dernières résistent mais devant les assauts répétés cèdent finalement à la panique. Quand les canons de Marceau commencent à pouvoir tirer (la fumée s’étant dissipée), ils font des ravages et sèment la déroute.

   D'Elbée et Bonchamps, qui voyaient que la victoire était à leur portée, tentent maintenant de rallier au moins leurs troupes avec quelques centaines de cavaliers et de fantassins. Mais en vain, ils finissent par se retrouver presque encerclés par les révolutionnaires et tombent sous des coups venant de toutes parts. Les Vendéens n’ont alors d’autre choix que de se replier sur Beaupréau.

Le château de Beaupréau.

   Bonchamps est mortellement blessé au ventre. Il est emporté sur une civière de branchages et traverse ainsi la Loire. Il décédera le lendemain au lieu dit la Meilleraie, de l’autre côté du fleuve.

   D’Elbée, pour sa part, s’est toujours opposé au passage de la Loire et à la Virée de Galerne. Il préfère choisir un lieu en Vendée pour guérir ou mourir en paix.

   Il a quatorze blessures, principalement à la poitrine et ne peut plus marcher. Il reçoit des pansements dans la maison de Bonnay à Beaupréau, mais il lui faut partir rapidement du fait de l’avancée des troupes révolutionnaires.

   Il est porté en croupe sur un cheval et accompagné par sa femme Marguerite d’Elbée, son beau-frère Pierre du Houx d’Hauterive, son ami Pierre Prosper Gouffier marquis de Boisy, l’abbé Durand et quelques fidèles. Le groupe est conduit par Pierre Cathelineau (le frère de Jacques) qui tient à les mettre en sécurité. Ils avancent assez lentement, car du fait de son état de santé, le blessé fatigue rapidement et contraint à des pauses fréquentes.

   Au départ de Beaupréau, la troupe se met tout d’abord en marche vers le nord avec l’armée qui se dirige, elle, vers Saint-Florent-le-Vieil et la Loire. Aussi le groupe l’abandonne à Montrevaud, pour obliquer vers le sud-ouest puis se diriger vers Gesté, Tellière et Clisson. Assez curieusement ils dépassent cette dernière ville sans difficultés.

Le château et le bourg de Clisson.

   En revanche, il leur faut impérativement éviter la ville de Montaigu, car elle est le siège d’une garnison révolutionnaire. Ils contournent donc l’obstacle en se dirigeant vers Remouillé puis Saint-Philbert-de-Bouaine et Corcoué-sur-Logné. En chemin à Bouaye, ils rencontrent une patrouille de quatre soldats bleus qu’ils sont obligés de tuer (malgré la volonté du général) pour éviter que leur déplacement ne soit découvert.

   D’Elbée désire absolument rencontrer le général François Athanase Charette de la Contrie, mais nous ne savons pas s’il y a eu un rendez-vous organisé à l’avance ou si la rencontre a été plus ou moins fortuite. En tous cas, le groupe se dirige vers le bourg de Touvois où Charette devait se trouver à moment là.

   A la Gaubretière (en Vendée) une tradition affirme que la rencontre d’Elbée avec Charette a eu lieu dans cette commune et précisément au château de Landebaudière propriété du marquis de Boisy. C’est toutefois peu probable compte tenu de l’emplacement géographique de chacun à ce moment là.

Le général Charette tableau de J. B. Paulin-Guérin en 1816.             L’église et le bourg de Touvois vers 1900.

   D’Elbée ne fera pas à Charette le reproche d’avoir été absent de la bataille de Cholet et d’être peut-être responsable de la défaite. Il vient seulement se mettre sous sa protection, puisque les autres armées sont parties outre-Loire.

   Charette accepte chaleureusement et lui conseille d’aller se reposer à Noirmoutier. Il vient, en effet, de conquérir, sans trop de difficultés le 12 octobre 1793 cette île défendue par une garnison commandée par Wieland. Et il juge l’endroit très sûr.

   Cette offre qui semble à ce moment là une excellente proposition va devenir bientôt une fausse bonne idée et se transformer en une véritable souricière. En effet, c’était oublier que les conventionnels considéraient Noirmoutier comme une position stratégique possédant un port, qui pouvait permettre aux Anglais de ravitailler les Vendéens. Il était donc, pour eux, primordial de reprendre l’île le plus tôt possible !

Le plan de l’île de Noirmoutier

   La petite troupe bénéficie désormais des guides que Charette lui a fournis. En revanche, Pierre Cathelineau, ayant remis ses protégés en de bonnes mains, les quitte à cet endroit pour repartir au combat.

   En tous cas, après la rencontre, le convoi prend désormais la direction de Noirmoutier. Ils sont maintenant dans le département de la Vendée, passent dans la commune de La Garnache et arrivent de cette façon à Beauvoir-sur-Mer, la dernière étape avant de parvenir à la mer. Ils étaient partis de Beaupréau le 19 octobre et sont arrivés à Noirmoutier dans les premiers jours de novembre, le 2 ou le 3. Ce déplacement de 34 lieues et demie (138 kilomètres) environ avait donc duré deux semaines.

Le bourg de Beauvoir-sur-Mer.

   A cette époque, pour rejoindre l’île, il n’y a évidemment pas de pont (il ne date que de 1970). Il fallait soit traverser la mer au goulet de Fromentine sur un petit bateau, soit emprunter le Gois. Ce passage naturel submersible était accessible uniquement à marée basse. S’il n’était pas balisé comme aujourd’hui, il était tout de même officiellement et couramment pratiqué depuis 1766.

   Il est probable, vu le souhait de discrétion du voyage, qu’on ait fait traverser le Gois à d’Elbée, précédé par les guides de Charette. Après avoir suivi la route sur l’île qui chemine par Barbâtre, La Guérinière et l’Épine, ils arrivent de cette manière au port de Noirmoutier et à la place d’armes.

Le passage du Gois à la fin du XIXème siècle.

   C’est avec un grand étonnement que le généralissime d’Elbée voit à ce moment là, les troupes vendéennes, prévenues par les guides, se mettre en rangs et lui rendre les honneurs militaires sur la place d’armes, avec salves d’artillerie. Il remercie le gouverneur de Tinguy pour sa sollicitude, tout en faisant remarquer que cela faisait bien de la poudre gaspillée.

   Cette place, la principale de la ville de Noirmoutier-en-L'île, est bordée : au premier plan par le quai du port, au fond par le château féodal et l’église, sur le côté gauche par l’Hôtel particulier des armateurs Jacobsen et sur la partie droite par l’Hôtel Lebreton, reconnaissable à sa façade décorée de balcons ouvragés de style Louis XV. Comme on peut les apercevoir sur la carte postale ci-dessous et le petit schéma qui fait suite.

La place d’armes avec le château et l’église.

   On propose aussitôt à d’Elbée et à son escorte de résider dans la plus belle maison de la ville, l’Hôtel particulier Jacobsen, qui se trouve à proximité immédiate. Il y est reçu par Madame Mourain de l’Herbaudière, née Jacobsen et par sa sœur Madame Doré. Leurs parents, les propriétaires de la maison, se trouvaient en effet emprisonnés à Nantes comme suspects. Madame Mourain était d’ailleurs une amie d’enfance de Marguerite d’Elbée qu’elle avait connue alors qu’elle s’appelait du Houx d’Hauterive, était la fille du Gouverneur de l’île et résidait au logis à l’intérieur de l’enceinte du château voisin.

   On installe d’Elbée au premier étage dans une chambre donnant sur la rue et du côté du port dont il pouvait ainsi apercevoir les bateaux et le trafic. Son épouse occupait la chambre à alcôve voisine.

L’ancien Hôtel Jacobsen au XXème siècle.

   Pendant son séjour, le généralissime est soigné par Leseigneur, chirurgien à Vieillevigne, qui payera d’ailleurs plus tard de sa vie sa sollicitude pour le blessé. Ce dernier ne reçoit que peu de visites, celle d’une émissaire de Charette et du gouverneur René de Tinguy, qui se rend compte de la gravité de son état ne lui permettant pas de participer à une quelconque action militaire.

   Les deux premiers mois du séjour se passent paisiblement. Il ignore son remplacement comme généralissime par le général Henri de La Rochejaquelein et le sort exact des armées vendéennes dans leur périple d’outre-Loire.

Noirmoutier-en-L'Ile à la fin du XVIIIème siècle.

   Nous avons déjà dit que les conventionnels ne pouvaient abandonner l’idée de reprendre Noirmoutier. Après s’être emparés de Machecoul et de Bouin, ils ont désormais la possibilité d’envahir l’île sans être gênés. L’attaque, qui se prépare depuis plusieurs mois avec environ 7 000 hommes, doit se faire principalement par mer avec 19 gabarres et la frégate « la Nymphe », mais aussi par la terre, c'est-à-dire par le Gois. Elle va débuter le 2 janvier 1794 (13 nivôse de l’an II).

   En face, le gouverneur vendéen René de Tinguy ne dispose que de 1 800 hommes au total sous le commandement d’Alexandre Pineau.

   A 6 heures du matin, l’adjudant général Nicolas Jordy, à la tête de 1 500 hommes, débarque à la pointe de l’île au lieu dit La Fosse. Il progresse assez difficilement, est blessé et se heurte à Hyacinthe Harvouët de La Roberie avec le gros des troupes vendéennes. Il réussit toutefois en début d’après-midi à s’emparer du bourg de Barbâtre qu’il incendie. Le général en chef Nicolas Haxo s’avance alors par le passage du Gois avec 2 000 hommes. Les Vendéens craignant d’être encerclés se replient vers le nord en direction de la commune de Noirmoutier-en-l’Ile. Ils permettent ainsi aux troupes de la Convention de faire leur jonction et de prendre facilement La Guérinière.

   Dans les 10 dernières gabarres, débarquent encore 1 000 hommes de l’autre côté au Nord-Ouest de l’île, à l’Herbaudière, qui se dirigent eux aussi vers Noirmoutier-en-l’Ile.

   Les assiégés commencent à perdre l’espoir de pouvoir arrêter l’invasion et sont divisés sur la conduite à tenir. Ils finissent par envoyer des plénipotentiaires au général Haxo pour négocier une éventuelle reddition sous condition. Ce dernier avait l’intention de refuser mais, la marée montant, le Gois devient impraticable et ses troupes vont être isolées et coupées de leurs approvisionnements. Alors il accepte, promet la vie sauve et donne sa parole :

   « Je commande des Français contre des Français insurgés et puisque je peux épargner le sang des uns et des autres, je vous déclare que je promets la vie sauve aux Royalistes qui se rendront ».

L’entrée du port de Noirmoutier au XIXème siècle.

   Les Vendéens ne doutent pas de la parole de Haxo, qui est considéré comme un officier loyal. La reddition est acceptée par un conseil de guerre improvisé. Les Vendéens cessent le combat et déposent les armes.

   Quand d’Elbée apprend la décision, il se contente de dire :

   « Noirmoutier est rendu, maintenant il faut savoir mourir ».

   Celui qui avait sauvé des prisonniers ennemis lors de l’épisode célèbre dit du Pater de d’Elbée ne se faisait aucune illusion sur les bonnes intentions de ses adversaires.

   Comme il était prévisible que la maison Jacobsen serait une des premières à être réquisitionnée par l’état-major révolutionnaire, on décide aussitôt d’aller cacher le général dans un endroit beaucoup plus discret. Madame Mourain possédait une petite maison inoccupée depuis peu, et située à proximité dans la rue de la Maduère (la troisième à l’est du château fort). Aussi, avant l’arrivée des troupes, on y transporte prestement d’Elbée et son escorte. Cette dernière s’efforce de faire disparaître tous les signes qui pourraient les trahir. Le général lui-même est caché dans une espèce de minuscule soupente à l’étage.

Le donjon, la cour et le logis du château fort.

   Le lendemain 3 janvier au matin, cette maison comme toutes celles du bourg est perquisitionnée par les soldats, mais ceux-ci ne trouvent rien de suspect. Une tradition locale affirme que d’Elbée ayant regardé par une petite lucarne a été reconnu par un soldat. Il nous parait plus vraisemblable qu’il ait été dénoncé, comme beaucoup d’autres noirmoutrins, par certains de leurs compatriotes voulant être considérés comme des « patriotes ». En tous cas les soldats découvrent d’Elbée dans l’après-midi et décident de le faire surveiller sur place par un poste de garde.

   Pendant ce temps là, les officiers et l’état-major de Haxo se sont effectivement installés à l’Hôtel Jacobsen et les représentants en mission de la Convention Nationale ont réquisitionné l’Hôtel Lebreton situé de l’autre côté de la place. Ils sont au nombre de trois : Pierre-Louis Prieur (dit de la Marne), Louis Turreau (le frère du général en chef des colonnes infernales) et Pierre Bourbotte (député de l’Yonne).

   Ils écrivent aussitôt à la Convention pour annoncer fièrement leur victoire et notent en particulier :

   « Le scélérat Delbée, généralissime des ci-devant armées royales et catholiques, qui a été blessé à Cholet et qu’on croyait mort, est tombé entre nos mains….Une commission militaire que nous venons de créer va faire prompte justice de tous ces traîtres ».

   Cette lettre parviendra à La Convention à Paris le 9 janvier 1794[1] (20 nivôse de l’an II).

   Les soldats pour leur part sont, tout d’abord chargés de faire une véritable chasse à l’homme dans l’île pour rechercher les soldats vendéens et les enfermer dans l’église. Selon les témoignages de l’époque, Ils n’hésitent pas, au passage, à violer des femmes et des jeunes filles, à s’amuser à embrocher avec des baïonnettes de jeunes enfants et à brûler plusieurs maisons.

Le bourg de Noirmoutier vu du château.

   Dés la fin de l’après-midi du même 3 janvier, les représentants en mission viennent interroger d’Elbée à la maison de la Maduère.

   - « Voici donc le général Delbée »,

   - « Oui, voilà votre pire ennemi, si j’avais eu assez de force et qu’on eût voulu seulement me consulter, vous ne seriez jamais entré à Noirmoutier ou vous l’eussiez acheté plus chèrement ».

   Étendu sur un lit, le visage marqué, le corps entouré de bandages ensanglantés, extrêmement fatigué, il ne peut se prêter à de longs entretiens. Ils vont donc venir le harceler pendant les deux jours suivants. Il ne niera pas les actions passées, mais refusera de parler des projets et de l’avenir. Même quand ils promettent la vie sauve à sa femme à condition qu’il collabore et livre des renseignements. Ils ne font que s’attirer la fière réponse suivante :

   « Ma femme saura mourir avec la dignité d’une Vendéenne. Mais quand je pourrais la sauver par des aveux qui me déshonoreraient vous n’espérez pas, sans doute, en obtenir de moi….. Messieurs il est temps que la tragédie finisse,… faites moi mourir ».

La façade de l’Hôtel Lebreton à Noirmoutier.

   Au soir de cette troisième journée dans l’île (le 5 janvier), les représentants organisent un banquet particulièrement arrosé à l’Hôtel Lebreton. A la fin de celui-ci, au milieu des libations, l’idée surgit d’ajouter une quatrième personne aux trois prévues pour la fusillade. Peut être parce que trois poteaux étaient déjà installés et que d’Elbée trop faible ne pourrait pas utiliser le sien. Après hésitation sur la quatrième victime, le choix se porte sur Jean Conrad Wieland, responsable à leurs yeux d’avoir été vaincu par les troupes de Charette. Il va ainsi être exécuté sans aucun jugement, mais cela ne semble déranger personne.

   La date exacte de la mort de d’Elbée n’est pas connue formellement, mais il est très probable que ce soit le lendemain matin 6 janvier 1794. On vient le chercher rue de la Maduère où on le trouve déjà prêt et revêtu de son uniforme, comme sur le tableau célèbre reproduit au début de cet article. Comme il ne peut ni marcher ni se tenir debout, on l’installe dans un fauteuil pris à l’Hôtel Jacobsen et posé sur deux morceaux de bois servant de civière. Dans cette position on le conduit au même Hôtel, siège de la commission militaire. Après lui avoir simplement lu la sentence, qui ne lui réserve d’ailleurs aucune de surprise, on repart vers la place d’armes où doit avoir lieu l’exécution.

   Son fauteuil est alors aligné avec les trois poteaux préparés, auxquels sont attachés son beau-frère du Houx d’Hauterive, son ami le marquis de Boisy, ainsi que le malheureux Wieland. Ce dernier est conduit par le hussard Félix et ne comprend pas ce qui lui arrive, puisqu’il croyait aller se justifier devant la commission militaire. D’Elbée aura encore la force d’affirmer que ce dernier n’avait eu aucune complicité avec les Vendéens et était parfaitement innocent.

L’exécution de d’Elbée.

   Le tableau ci-dessus, de Julien Le Blant, conservé au musée des Beaux-Arts de Nantes, représente les troupes, avec Collinet sur le cheval, quittant les lieux après les exécutions. Cette toile réaliste est quand même une vue d’artiste, car elle ne nous montre pas les poteaux. De plus, elle nous laisse imaginer une grève immense, alors que la scène s’est en fait déroulée presque devant l’Hôtel Lebreton, aux balcons duquel les représentants de la Convention assistaient au spectacle.

   Après les évènements, le fauteuil ayant servi à d’Elbée et portant les traces de balles sur son tissu, a été conservé en l’état. A l’époque de la Restauration il est devenu la propriété de la famille du marquis d’Elbée. Au début du XXème siècle, il a été prêté pour une exposition sur les souvenirs des Guerres de Vendée organisée au musée Dobrée à Nantes. C’est à cette occasion qu’a été réalisée la carte postale ci-dessous. Par la suite, il a été offert par la famille au musée du château de Noirmoutier où on peut le voir désormais.

Le fauteuil de d’Elbée vers 1900.

   Aussitôt après les exécutions, les quatre corps sont jetés dans un trou, espèce de fosse commune peu profonde, sur le côté droit du château, c'est-à-dire du côté de l’église. Toutefois l’endroit n’est pas connu avec précision et n’a jamais été retrouvé depuis cette date. Pour certains ce serait directement dans les anciennes douves de la forteresse, donc à proximité de l’actuel monument aux morts. Pour d’autres, il vaudrait mieux, au contraire, chercher le long du mur du côté Nord de l’Hôtel Lebreton. Pour l’instant, personne à ce jour n’a vraiment fait de recherches !

   Marguerite d’Elbée, quant à elle, a été fusillée environ une dizaine de jours après son mari, au milieu du mois de janvier 1794. Comme Madame Mourain de l'Herbaudière, elle a été enterrée sans véritable sépulture dans un chemin creux de l’île (les corps ont été découverts fortuitement, longtemps plus tard).

Les murailles et les douves du château.

   Parallèlement à ces exécutions spectaculaires se déroulaient clandestinement d’autres évènements encore plus terribles.

   On se souvient que sur la promesse de la vie sauve faite par le général Haxo, les troupes vendéennes avaient fait leur reddition le 3 janvier 1794. Seulement les représentations en mission, estimant qu’ils étaient les seuls à détenir le pouvoir, refusèrent de reconnaître la promesse (mais sans laisser la possibilité aux Vendéens de reprendre les armes). Ils faisaient ainsi se parjurer leur général.

   Cette attitude n’est pas unique. Ils rejoueront le même jeu lors de la prise de Quiberon le 20 juillet 1795 et parjureront cette fois-ci le général Hoche. On est en droit d’espérer que les généraux étaient initialement sincères, pourtant ils accepteront l’affront sans songer à démissionner !

   De ce fait, les révolutionnaires s’appliquent aussitôt à ramasser en ville les combattants vendéens et à les regrouper dans l’église Saint-Philbert de Noirmoutier, dominée à l’époque par un clocher à bulbe (le clocher actuel en pierres date du XIXème siècle).

L’église de Noirmoutier vers 1900.

   Les malheureux soldats vendéens, parqués avec des femmes et des enfants au nombre d’environ 1 500, s’attendent tout naturellement à être libérés après évidemment quelques formalités d’usage, conformément à la promesse faite et à ce qu’on leur affirme encore. Plus tard, pendant la seconde guerre mondiale, les nazis procéderont de la même façon en faisant croire aux juifs que les chambres à gaz sont des salles de douches. C’est donc sans véritable inquiétude que les Vendéens voient certains des leurs emmenés par groupe de 60 environ à partir du 4 janvier. Ils ne savent pas qu’en réalité on les conduit à l’extrémité du faubourg Banzeau, au lieu dit la Vache, pour les fusiller sur la plage.

   Leur ancien gouverneur René de Tinguy a eu lui, en plus, « le privilège » d’être torturé au préalable. On lui a en particulier arraché la langue.

   Les morts étaient ensuite laissés à pourrir sur la grève pendant un mois. L’odeur empestait tellement l’air que des paysans de l’île furent réquisitionnés pour transporter les corps dans des fosses communes.

Façade extérieure et vue intérieure de la Chapelle des Martyrs

   Trouvant sans doute le lieu d’un usage aisé, les soldats de la convention continueront, dans les six mois suivants, à amener des groupes de suspects du continent pour les fusiller ici. On estime à 1 800 environ le nombre de ceux qui auraient pu périr de cette manière. Noirmoutier vivra véritablement une totale période de terreur à ce moment là.

   Quelques jours après la fin de la dictature de Robespierre, le 9 thermidor de l’an II (27 juillet 1794), les principaux responsables craignant des représailles de la population quitteront l’île précipitamment. Et les noirmoutrins s’emploieront à détruire le tas de terre qui avait été installé sur la place d’armes, pour justifier la nouvelle appellation de l’île : « La Montagne ».

   Au XXème siècle, un premier calvaire a été érigé en 1902 sur le lieu des massacres, pour rendre hommages aux victimes. Par la suite, une petite chapelle « Notre-Dame des Martyrs » a été construite à l’initiative de l’abbé Joseph Raimond et consacrée en 1950 (Cf. photos ci-dessus).

   Actuellement, à défaut de monument pour célébrer la mémoire du général d’Elbée, celle-ci est tout de même rappelée par l’hôtel-restaurant (installé dans l’ancienne maison Lebreton) qui s’appelle désormais « l’Hôtel d’Elbée ».


[1] On notera que la poste aux chevaux en pleine guerre civile au XVIIIème siècle était plus rapide que la poste moderne, en 2020, en période de confinement !

 

A Chantonnay en ce jour des morts, 2 novembre 2020

Vitrail de l’église de Saint-Mars-la-Réorthe en Vendée, évoquant les martyrs de Noirmoutier.


LA CAPTURE DE CHARETTE (23 Mars 1796)

   En ce début d’année 1796, après les combats et les redditions successives, le chevalier François Athanase Charette de la Contrie n’a plus autour de lui qu’une poignée de derniers fidèles et est constamment pourchassé par près de 30 000 soldats républicains. Le général Hoche avait d’ailleurs demandé au général Grigny « Tâchez de prendre Charette, ne lui laissez aucun repos. Employez les ruses…. ». Cerné de partout, il se trouve dans un périmètre de plus en plus restreint aux alentours de Rocheservière, contrée qui lui est favorable et où il a ainsi moins de chance de se faire trahir.

1. Charette, tableau de J. Baptiste Paulin-Guérin (1826)                                       2. Charette d’après un dessin du XIXème

   Il a bien reçu une proposition de rencontre émanant du citoyen Guinel, aide de camp du général Grigny, en vue d’une suspension d’armes. Le rendez-vous est prévu à la cure de Mormaison le 21 mars 1796 à 9 heures du matin (1er germinal de l’an IV). La proposition lui est parvenue par l’intermédiaire (en toute innocence) d’Amiaud, l’ancien vicaire de cette paroisse. Flairant de loin le guet-apens, il s’est bien gardé de s’y rendre mais se trouve néanmoins toujours dans les parages. Le lendemain 22 mars, il se heurte à la colonne commandée par l’adjudant-général Mermet près de Saint-Philbert-de-Bouaine. Réussissant à s’échapper avec 45 hommes environ, il parcourt à pied à peu près quatre lieues (16 km) en direction des Lucs-sur-Boulogne.

   De cette manière, il se présente avec ses hommes en fin de journée chez Jean Delhommeau à la métairie de la Pellerinière, située au nord de la commune des Lucs. Il est trempé jusqu’aux os et harassé de fatigue. Après s’être séché devant le feu, il s’endort sans savoir qu’il s’agit là de sa dernière nuit d’homme libre. Le lendemain matin 23 mars 1796, autrefois jour du Mercredi Saint, mais aujourd’hui 3 germinal de l’an IV de la République, il déjeune d’un frugal repas d’œufs durs à 7 heures du matin quand la sentinelle prévient de l’approche de Bleus. Ils arrivent, en effet, par le village voisin des Gâts, les soldats du commandant Gauthier, qu’ils croyaient avoir semé la veille. Il faut partir et très vite :

   - « Allons, mes braves enfants, c’est ici qu’il faut se battre jusqu’à la mort et vendre chèrement sa vie ». 

   Accompagné des soldats qui lui restent, il se dirige vers le Nord-Est et va franchir la rivière la Boulogne à la chaussée du moulin à eau de Gâtebourse.

Le parcours de Charette avant sa capture.

   Ensuite, à partir de cet endroit, il s’enfuit en sautant des « échaliers » et en passant dans des chemins creux. Les Bleus semblent avoir disparu :

   -« Allons, ils ne nous auront pas cette fois encore ».

   Il descend alors plus sereinement par le chemin se dirigeant vers La Guyonnière. Mais, arrivé au bout du village, il se trouve nez à nez avec un groupe d’autres soldats bleus. Il s’agit cette fois-ci de la demi-brigade des Vosges commandée par l’adjudant général Valentin, forte d’une centaine d’hommes et venant des Lucs-sur-Boulogne. Le combat est inévitable et il commence à s’engager dans le village.

   Charette est la véritable cible des tireurs, car il est reconnaissable au panache blanc de son chapeau. Un des soldats de sa troupe, Pfeiffer, lui demande alors son chapeau et sans attendre la réponse, il s’en empare et le met sur sa propre tête. Ce geste héroïque lui coûte la vie. Il est tiré à vue, abattu et les soldats s’acharnent déjà sur lui, certains de la victoire. Ils doivent toutefois déchanter, ce n’est pas Charette. Tout en tirant sur leurs adversaires, les Vendéens perdent certains des leurs, mais réussissent tout de même à se dégager. Ils disparaissent dans la nature et partent en direction du ruisseau de « la Rue ».

   Après avoir franchi ce petit cours d’eau, l’objectif de Charette est de se diriger vers l’Est pour atteindre la forêt de l’Essart dans la commune de Saint-Denis-la-Chevasse qui pourrait constituer un abri sûr. Il emprunte des chemins qui suivent plus ou moins le tracé de la rivière. Il arrive ainsi à la ferme du Sableau avec deux des siens et il y reste quelques instants pour se reposer. Cette halte est de courte durée car Valentin et cinq grenadiers y arrivent déjà. Dans la précipitation de son départ, Charette oublie ses deux pistolets sur la table. Et la course reprend toujours en direction du bois des Essarts vers l’Est.

   Ses soldats regroupés, il arrive maintenant au village de La Boulaye. Il est onze heures et demie du matin environ quand il a une nouvelle surprise : à cet endroit il se heurte à un détachement de 80 hommes du bataillon le Vengeur commandé par Dupuis, chef de poste à Saint Fulgent. Quelques coups de feu sont échangés sans résultat et Charette, une fois encore, réussit à s’échapper mais est obligé de changer de direction. Les Vendéens partent maintenant vers le Nord dans la direction du château de la Chabotterie.  (Cf. Plan ci-dessus)

Le Village de la Chevasse vers 1910.

   Néanmoins, l’objectif de Charette reste toujours de se diriger vers le bois de l’Essart, maintenant pas trop éloigné. Aussi, arrivé à la ferme des Morinières, les Bleus semblant avoir été semés, il reprend la direction Est et traverse ainsi la ferme du Fossé. Et dans la même direction il arrive ainsi sans difficultés au village de La Grande Chevasse. A cet endroit il prend le temps de manger un morceau de pain dans une des maisons et s’apprête à prendre la direction du village de l’Imbretière. Quand tout à coup la sentinelle aperçoit sur le chemin une troupe de soldats venant de cet endroit et se dirigeant vers eux. Il s’agit du général Jean-Pierre Travot à la tête d’un bataillon de 350 chasseurs. Partis de Chauché, ils arrivent précisément du bois de l’Essart où ils ont effectué une battue et se rendent au château de la Chabotterie pour y déjeuner et y prendre du repos.

   Au XIXème siècle, au cours de cet épisode, l’omniprésence des troupes républicaines surgissant toujours juste au moment opportun est apparue très suspecte. Certains ont évoqué une trahison et se sont même essayés à en découvrir les coupables possibles. En réalité l’absence de réels moyens de communication à l’époque rendait cette hypothèse tout à fait invraisemblable. L’armée était tout simplement informée de la présence de Charette dans la contrée et elle a mis les moyens dont elle disposait alors pour pouvoir le capturer.

   Charette n’a donc plus d’autres possibilités que de revenir sur ses pas et de s’enfoncer dans les bois de La Chabotterie, alors beaucoup plus importants qu’ils ne le sont aujourd’hui.

   Mais Travot, qui le cherche depuis longtemps et met tout son acharnement à le capturer, n’est absolument pas décidé à le laisser filer une fois encore. Il en va de son avenir militaire !

Le Bois de La Chabotterie : carte postale de 1898.

   Il envoie alors ses chasseurs à cheval en avant pour couper la route du héros vendéen, part lui-même vers la Chabotterie pour l’attendre et laisse le commandant Vergèz dans le pré de « la Muse » surveiller les taillis. Dans la fébrilité, il perd son chapeau de général, bicorne à plumes tricolores. Les premiers coups de feu échangés ont alerté les soldats de la colonne de Valentin qui suivaient Charette de loin. Ceux-ci accourent pour se joindre au dispositif et contribuent ainsi à fermer efficacement l’étau. Cette fois-ci les Vendéens sont véritablement cernés. En vain, ils essaient de ressortir du taillis, de se frayer un passage vers la Chabotterie ou de revenir vers leurs pas.

   Vergèz qui a perdu son cheval (et ses souliers dans la boue) est le premier à apercevoir Charette. Il s’écrit sans en être tout à fait convaincu - « Voici Charette !   C’est Charette ! ». Il tire plusieurs coups de feu dans sa direction et lui occasionne une blessure à la tête et une autre qui lui a littéralement labouré l’épaule droite. Pourtant le général vendéen tente encore de s’enfoncer dans les fourrés.

Charette s’écroule dans les bois.

   Le sang qui s’écoule de sa blessure au front le rend pratiquement aveugle, il ne peut écarter les branches, ses forces l’abandonnent, il perd connaissance. Son domestique Bossard, qui l’avait chargé sur ses épaules, est à son tour abattu. Le chevalier Samuel de Lespinay de la Roche d’Avau prend alors le relais mais ne parvient qu’à le conduire près de la grosse cosse d’un arbre coupé à l’orée de la forêt et à peu de distance des jardins du château de la Chabotterie (cette cosse de bois, conservée religieusement, a ensuite malheureusement été détruite en décembre 1870 par un bucheron non informé de son importance).

   Les Bleus arrivent aussitôt, le chevalier de Lespinay tue le premier mais meurt à son tour. Charette a repris connaissance mais n’est plus capable de fuir. Vergèz, à coups de sabre, lui entaille le poignet, lui coupe trois doigts de la main gauche et réussit à le désarmer. Mais il n’est pas encore absolument sûr de celui qu’il a arrêté.

L’arrestation de Charette.

   Le général Travot, attiré par les coups de feu et le bruit, arrive à ce moment là. Il se saisit du prisonnier à bras le corps et lui crie :

     - « Comment t’appelles-tu ? »

   Devant l’absence de réponse du blessé, le chasseur Jannet Bauduère des Sables d’Olonne lui dit :

      - « Pouvez vous vous soulever un peu, mon général, que je voie sa figure ? », puis après l’avoir reconnu :

      - « Tenez ferme, c’est notre homme »

   Le général vendéen est relevé et Travot lui demande à nouveau :

      - « Où est Charette ? », il lui répond : « Le voilà »

   Travot, qui a déjà cru tant de fois le tenir, mais en vain, insiste pour être sûr :

      - « Est-ce bien lui ? »

      - « Oui, Foi de Charette » 

   Après ces quelques mots échangés, deux soldats portent le blessé en dehors du bois. Les autres convergent aussitôt de partout pour voir le spectacle et crient « Vive la République » et « Vive Travot ». Le prisonnier qui n’avait pas reconnu le général bleu (car ce dernier a perdu son chapeau à plumes tricolores) lui demande :

      - « Où est le commandant ? »

      - « C’est moi », - « Serais-tu donc Travot ? », - « Oui »

      - «  A la bonne heure, c’est à toi seul que je voulais me rendre »

   Rassuré il adresse avec noblesse ses félicitations à son vainqueur, conformément aux traditions de l’ancien régime. Travot le remercie, non moins courtoisement.

   Il est à ce moment précis midi et demie ce mercredi 23 mars 1796 et en réalité le combat considéré symboliquement comme le dernier de La Guerre de Vendée n’a guère duré plus d’un quart d’heure.

L’arrivée à La Chabotterie par les jardins.

   Pour établir le bilan de cette affaire, disons que des 46 Vendéens présents environ en début de journée, 10 ont été abattus durant la course, 17 sont morts à la Chabotterie, 3 (dont Charette) ont été faits prisonniers puis fusillés ultérieurement, 16 à peu près seraient donc parvenus à s’échapper avant la fin.

   Charette étant blessé plusieurs fois et trop faible pour marcher, les chasseurs vont le porter jusqu’au château de la Chabotterie tout d’abord en improvisant une civière avec deux fusils. Au château, ils vont l’installer dans la cuisine située un peu en contrebas, devant la grande cheminée pour qu’il puisse sécher ses vêtements. Les officiers comme les soldats vont toujours lui montrer une grande déférence, dont il ne manque pas de les remercier courtoisement. Pour prouver sa satisfaction il offre même cérémonieusement son sabre au général Travot.

   A ceux qui le questionnent sur les raisons de sa reprise des armes, il répond que les promesses faites et non tenues par la République en sont la cause. Et quand on lui demande pourquoi il s’est laissé faire prisonnier au lieu de se donner le mort il réplique :

   - « Mais le suicide est un acte de lâcheté ! Je me suis battu pour ma religion, et j’aurais commis un crime contre les lois divines, si je me fusse détruit moi-même. Au surplus, je prouverai que je ne crains pas la mort ».

La cuisine de la Chabotterie.

   Après un bref repas et plusieurs heures de repos, aux alentours de 16 heures 30, tout le monde se prépare à prendre la route. Malgré ses blessures, Charette est maintenant capable de remonter à cheval et ses geôliers ont pour mission de le conduire au comité des Sables d’Olonne. On se remet donc en chemin vers cette destination, en passant tout d’abord par le bourg des Lucs-sur-Boulogne et en prenant ensuite la route du Poiré-sur-Vie.

   Arrivés à proximité de ce bourg, alors qu’ils ont déjà parcouru une vingtaine de kilomètres, ils passent devant le logis de Pont-de-Vie. Il est 19 heures, la nuit approche, il semble préférable et beaucoup plus sûr de passer la nuit à cet endroit. On s’y arrête donc. Charette y demande simplement une soupe à l’oignon et s’endort paisiblement.

1. La statue du général Travot à La Roche-sur-Yon (fondue en 1942).                         2. Façade du logis de Pont-de-Vie au Poiré

   Le lendemain matin 24 mars 1796 (jour du Jeudi Saint) Travot reçoit de nouveaux ordres lui demandant de conduire le prisonnier non plus aux Sables d’Olonne, mais à Angers. On reprend donc aussitôt la route mais dans l’autre sens .Le convoi revient aux Lucs-sur-Bologne et traverse le bourg de Montaigu vers 11 heures. Il arrive en fin de journée à Cholet pour y passer la nuit. Il faudra toute la journée du lendemain vendredi 25 pour se rendre jusqu’à Angers.

   En arrivant dans cette ville, Charette est emmené directement à l’hôtel particulier dit de Lantivy résidence du général Hédouville. Ce dernier, entouré de tous les officiers de son état-major, le reçoit avec beaucoup de courtoisie avant qu’il ne soit conduit en prison.

Le vieux château d’Angers

   Le samedi 26, le docteur Lachèze est appelé pour soigner le blessé car ses plaies commencent à s’infecter et le font souffrir. Il lui refait ses pansements ; on l’aide à se laver sommairement et à nettoyer ses vêtements. Redevenu présentable il peut se rendre au banquet offert en son honneur par le général Hédouville. Il y a peu, certains officiers ont pu se faire ordonner de commettre des horreurs ; la Terreur terminée, les traditions militaires de l’ancien régime reprennent déjà leurs droits.

   Charette mange de fort bon appétit et participe aux conversations avec beaucoup d’aisance. Le soir on le conduit au vieux château d’Angers.

   De nouvelles instructions arrivent, le prisonnier doit maintenant être conduit à Nantes. Le lendemain matin dimanche 27 mars (jour de Pâques) vers neuf heures du matin il est embarqué dans une canonnière avec les généraux Travot, Valentin et Grigny pour descendre la Loire jusqu’à Nantes. Le voyage va durer pas moins de 16 heures. On aperçoit ainsi Chalonnes, Ingrandes, Saint-Florent-le-Vieil, Ancenis, Champtoceaux. Le prisonnier s’est il ainsi remémoré les étapes de l’Épopée Vendéenne. En tous cas, régulièrement d’autres canonnières républicaines saluent leur passage en signe de victoire.

   Il fait totalement nuit quand on arrive enfin à Nantes, vers une heure du matin. Une compagnie est là sur le quai pour présenter les armes. Charette est directement conduit dans la prison du Bouffay toute proche, ce lieu sinistre qui venait de connaitre tant de drames dans un passé tout récent.

Gravure représentant l’ancienne prison du Bouffay (détruite en 1847).

   Dans une des salles, épuisé par ses blessures et la fatigue du voyage, il se laisse tomber sur un lit de camp. Le lendemain matin lundi 28 mars, le général Duthil commence par le soumettre à un long interrogatoire. Or le bruit courait alors dans la ville de Nantes et les campagnes environnantes que le prisonnier n’était pas Charette lui-même, mais un de ses soldats qui s’était sacrifié à sa place. Le général Duthil a donc l’idée de promener son prisonnier dans les rues du centre ville, précédé de la garnison en grand uniforme, des tambours et des généraux républicains. Les Nantais ont un peu de mal à reconnaître le prestigieux cavalier charismatique en ce malheureux blessé, le bras en écharpe, la tête enveloppée dans un mouchoir tâché de sang et aux vêtements sales. Toutefois, ils font ce que l’on attend d’eux, ils le conspuent copieusement. Epuisé, le prisonnier s’évanouit et doit être ranimé dans une maison voisine. Il dit alors aux officiers présents : « Si je vous avais pris, je ne vous aurais pas traité de cette façon ; j’aurais préféré vous fusiller tout de suite ». A son retour à la prison, il dîne et s’endort paisiblement.

   Le lendemain mardi 29 mars 1796 (9 germinal de l’an IV), dès 9 heures du matin, il comparait devant un Conseil de Guerre, composé de huit officiers de tous grades et réuni dans une des salles de la prison. Considéré comme « le fléau de la Patrie », malgré la défense de son avocat Villenave, il est condamné à mort après deux heures seulement d’audience. Son seul souhait est d’avoir la possibilité de se confesser et pour ne pas mettre en danger la vie d’un prêtre réfractaire, il accepte de recevoir un prêtre constitutionnel. Peu après, sa tante, sa belle-sœur et sa sœur sont autorisées à venir lui rendre visite. La dernière lui annonce qu’un prêtre réfractaire se tiendra à l’une des fenêtres de l’ancienne rue Saint-Georges habillé en noir avec un mouchoir blanc à la main.

   Vers 16 heures le cortège se met en marche, escorté par les généraux républicains et les baïonnettes des soldats. Charette, qui a mis sur sa tête un foulard de soie rouge, marche d’un pas ferme en récitant « le Miserere » en compagnie du confesseur qu’on lui a attribué : l’abbé Guibert. Mais, arrivé « rue Georges », il aperçoit ce que sa sœur lui avait annoncé. Il courbe alors la tête et reçoit l’absolution d’un prêtre conforme à ses convictions.

Gravure représentant le mort de Charette place Viarmes à Nantes.

   Le défilé finit par arriver sur la place des Agriculteurs (actuelle place Viarmes), ce même espace où Jacques Cathelineau avait reçu une blessure mortelle lors de l’attaque de Nantes le 29 juin 1793. 5 000 hommes se sont déjà installés en formant les trois côtés d’un carré fermé par un mur de clôture en pierres. Un roulement de tambour annonce l’arrivée du cortège et les 18 soldats prévus pour constituer le peloton d’exécution viennent se placer au centre du dispositif. Le condamné s’applique à rassurer son confesseur « J’ai bravé cent fois la mort, j’y vais pour la dernière fois ». Il refuse catégoriquement de se mettre à genoux, de porter un bandeau sur les yeux et crie aux soldats en montrant son cœur : « Visez là, c’est là qu’il faut frapper un brave ».

  Les détonations retentissent dans un grand silence ; le corps du supplicié reste d’abord droit puis s’affaisse dans une mare de sang. Le général Duhil fait chanter la Marseillaise puis défiler les troupes. La population se disperse, tout est fini !

   Enfin pas tout à fait ! Car, même mort, Charette va continuer à causer des soucis aux autorités républicaines. Celles-ci avaient autorisé le sculpteur Casanne à prendre un moulage en plâtre de son visage. Mais la rumeur courant que l’artiste avait échangé le corps, ils l’ont fait arrêter et interroger. En outre, pour être certains que ses partisans ne l’avaient pas enlevé, et vérifier du même coup sa présence, ils vont aller exhumer le corps qui avait été enterré dans un terrain vague près de la rue de Rennes, servant de cimetière pour les soldats et les condamnés.

   En revanche, une porte en bois située sur le mur de l’exécution avait reçu 7 des 18 balles tirées par le peloton d’exécution. Elle a été retirée prestement et déménagée précieusement. Elle se trouve aujourd’hui au château de la Contrie chez les descendants de la famille de Charette.

1. La Croix de la place Viarmes à Nantes.                                  2. La Croix de la Chabotterie à Saint Sulpice-le-Verdon

   Pour commémorer le centenaire de l’exécution de Charette, on inaugura le 28 mars 1896 une croix érigé place Viarmes à Nantes, à l’emplacement de son supplice. Un Sacré-Cœur occupe le centre de la croix de granit et des fleurs de lys décorent les extrémités des bras de cette croix. Une plaque posée sur le socle est elle aussi ornée de fleurs de lys. On peut y lire : « Ici a été fusillé / pour son Dieu et son Roi / le général Vendéen / Charette de la Contrie / 29 mars 1797 ».

   Par la suite, au début du XXème siècle, la croix a été déplacée et installée dans un coin entre deux immeubles. C’est dans cette position que nous la montre la carte postale ci-dessus, vers 1910. Plus récemment la croix a repris approximativement sa place initiale sur la place proprement dite.

   Dans le même esprit, une simple croix provisoire en bois a tout d’abord été installée dans les bois de la Chabotterie à Saint-Sulpice-le-Verdon en 1892. A l’initiative d’Alain de Goué propriétaire du château, elle a été remplacée le 6 août 1911 par une nouvelle croix en granit implantée à trois mètres seulement de l’endroit précis de la capture de Charette. Celle-ci est l’œuvre de M. Dupeux entrepreneur à Nantes et de Vallet sculpteur. Comme à Nantes, une fleur de lys est sculptée à l’extrémité de chacun des bras de la croix proprement dite et un Sacré-Cœur à la croisée. Sur une plaque, posée au centre du socle, on peut lire : « ici fut pris par le général Travot, le général Vendéen François Athanase CHARETTE de la Contrie le 23 mars 1796 + ». En outre, sur un listel figurant sur le piédestal, on distingue : « Pour ma religion, ma patrie et mon roi » (interrogatoire de Charette à Nantes le 29 mars, jour de sa mort). On aperçoit encore, au pied de la croix, un petit blason portant les armoiries de la famille et qui semble se lire héraldiquement ainsi : « d’argent au lion rampant de sable, armé et lampassé de gueules, accompagné en pointe de trois merlettes du même, becquées et onglées du même, posées deux et un », sommé d’une couronne de marquis. Sur la partie supérieure du socle sont enfin sculptés en faisceau, d’une part un vieux fusil, une faux, un pistolet, un médaillon fleurdelisé et d’autre part un sabre, une pique et un drapeau.

Inauguration de la Croix de la Chabotterie le 6 VIII 1911.

   L’inauguration de cette croix, le 6 août 1911 a commencé par une grand-messe dans l’église de Saint-Sulpice-le-Verdon célébrée par le curé de la paroisse l’abbé E. Michaud accompagné du révérend Ch. Fargeau missionnaire diocésain. L’assistance s’est ensuite rendue en procession jusqu’à la Chabotterie, en chantant la liturgie des Vêpres, les litanies de la Vierge et le chant de « Je suis Chrétien, voilà ma gloire…. ». A 13h 45 le cortège, regroupant environ 4 000 personnes, arrive enfin devant le calvaire recouvert d’un voile fleurdelisé. Le curé Michaud procède à la bénédiction solennelle et lit la lettre de SE Monseigneur Clovis Catteau Evêque de Luçon accordant une indulgence plénière de 50 jours. Puis la foule se presse pour embrasser le calvaire pendant que la chorale entonne une « Cantate à Charette » sur l’air de « La Vendéenne ».

Cette cérémonie religieuse est suivie d’un congrès royaliste durant lequel vont prendre successivement la parole :

­       -  René Vallette, Directeur de la célèbre revue du Bas-Poitou,

­       -  Jacques de la Débuterie,

­       -  M. de la Vrignais, Député de la circonscription,

­       -  Le comte Eugène de Lus-Saluces, Chef du Comité Régional,

­       -  Le comte Amédée de Béjarry,

­       -  Le docteur Paul Bourgeois, Président du Conseil Général de la Vendée,

­       -  Paul Robain, Directeur du comité de l’Action Française,

­       -  Le comte de Chabot,

­       -  Le général baron de Charette, Président de la manifestation,

­      -   Alain de Goué, propriétaire du lieu.

 


LES BATAILLES DE MONTAIGU ET DE SAINT-FULGENT (1793)

   Située au nord du département de la Vendée, Montaigu était à la fin du XVIIIème siècle la première cité un peu importante que l’on rencontrait en sortant de la ville de Nantes par le cours royal se dirigeant vers La Rochelle (actuel RD 137). Dès le début de la Révolution elle devint chef-lieu d’un district en 1790 et sera même par la suite chef-lieu d’arrondissement sous le Ier Empire, avec siège d’une sous-préfecture (dans une maison située 12 rue du Vieux Couvent). Au début des Guerres de Vendée, cette ville servit également de quartier général à Charles de Royrand général en chef de l’Armée du Centre.

La maison qui servit de Sous-Préfecture.

  Dès le tout début de l’Insurrection Vendéenne, elle est le théâtre d’évènements importants et significatifs. Les autorités républicaines de Montaigu, se sentant menacées par la venue probable des insurgés, ont demandé du secours à leurs collègues du Directoire de Mortagne-sur-Sèvre. On leur envoie alors un détachement d’une trentaine de gardes nationaux, conduits par le commandant Douhet. Le 12 mars 1793, quand ces derniers arrivent du côté de l’Est par l’ancienne route de Tiffauges, ils sont surpris, très rapidement défaits et capturés par un groupe de jeunes insurgés, près de l’étang du château actuel des Barillères.

 Le château des Barillères à St Hilaire-de-Loulay.

   Le lendemain mercredi 13 mars vers 11 heures, les choses deviennent plus sérieuses. D’autres Vendéens, au nombre de 400 environ, provenant des communes voisines de La Guyonnière, La Boissière, Treize-Septiers et La Bruffière, arrivent du côté de Meslay à l’Est et attaquent la cité vers le lieu dit « Petit Sabot ». Les troupes républicaines, comprenant environ 200 hommes avec deux canons, réussissent tout d’abord à les repousser. La carte géographique publiée ci-dessous nous permet de situer tous les lieux des différentes opérations.

Montaigu et ses alentours.

   Pendant ce temps là, une nouvelle bande de paysans insurgés, originaires des villages de Saint-Hilaire-de-Loulay et conduite par le sacristain Poiron, arrive à son tour et cette fois-ci par le Nord de la ville. La garnison républicaine rapidement débordée, après une première canonnade, décide finalement de se replier en direction du vieux château féodal car celui-ci est jugé plus facile à défendre, du fait de ses murailles et de ses douves. Mais les Vendéens, connaissant l’existence d’un passage du côté de la rivière, contournent la fortification par l’Ouest, empruntent le souterrain et surgissent de cette manière directement dans la cour de la forteresse, rendant ainsi les canons inutiles. La garnison est totalement surprise et sa défense complètement désorganisée. Elle est donc obligée de rendre les armes aux environs de quinze heures.

Le vieux château de Montaigu aujourd’hui.

   Malheureusement, après leur victoire assez facile, les Vendéens joyeux se répandent dans les rues de Montaigu et vont s’occuper à vider les caves des maisons appartenant à des « patriotes », comme ils le feront hélas trop souvent surtout au début de l’insurrection. Ensuite, naturellement ivres (et pas que de la victoire !), les esprits s’échauffent de plus en plus. Les habitants de Saint-Hilaire-de-Loulay sont particulièrement excités, ils dépouillent de leurs uniformes les prisonniers faits depuis la veille et les entrainent avec eux.

   Nous allons pouvoir les suivre dans la cité à l’aide du premier plan cadastral, réalisé quelques années seulement après l’insurrection en 1814 et reproduit ci-dessous. Il nous permet de bien nous représenter la cité de cette époque et en particulier le château féodal beaucoup plus séparé de la ville qu’il ne l’est aujourd’hui.

Le bourg de Montaigu sur le cadastre de 1814.

   Partant à travers la ville, les insurgés vont aller s’en prendre au prêtre constitutionnel (« jureur ») de la ville Claude Bouche, ancien vicaire d’Ardelay, qui avait remplacé depuis 1791 l’abbé Jacques Raillon curé réfractaire. Il est fait prisonnier mais réussit à s’échapper puis à s’enfuir à Fontenay-le-Comte. Le presbytère a moins de chance : situé rue Chauvinière, il est pillé et incendié.

   Les soldats et les prêtres jureurs ne sont pas les seules personnes détestées, bien au contraire, d’autres familles de patriotes se sont distinguées par des décisions très impopulaires dans une ville où les opinions sont très opposées. Une famille en particulier symbolise à elle seule toutes les décisions imposées par la force et les mesures révolutionnaires honnies : les Thiériot. Se sentant en danger, Madame Thiériot et ses deux filles réussissent à s’enfuir, ainsi que ses deux fils qui s’échappent de la ville. Les insurgés se dirigent effectivement vers leur logis de la Caillauderie au Sud de la ville. Ils n’y trouvent que le père, Hardoin-Aimé Thiériot, docteur à l’hôpital Saint-Jacques. Malade à son domicile, il est mis dans un fauteuil devant la façade et fusillé avec les autres prisonniers.

Le château actuel de la Caillauderie.

   Revenus au calme, les Vendéens prennent soin dès lors de mettre en place un comité royaliste chargé de l’administration de la ville ; mais son travail consiste surtout à gérer les conséquences de la guerre sur la vie quotidienne. En effet c'est une ville où : - le culte n’est plus du tout célébré, - l’enseignement n’est plus assuré, - les services de la poste ne fonctionnent plus, - les communications ne se faisant plus rendent le commerce très difficile, - les arrivées de prisonniers compliquent encore la situation.

   C’est à ce sujet et durant cette période que se place un événement resté célèbre. Les prisonniers bleus, toujours plus nombreux, compliquaient sérieusement le problème des vivres dans la ville. Aussi à Montaigu on a l’idée d’envoyer trois prisonniers à Nantes, avec mission de négocier avec le comité républicain de Nantes un échange de prisonniers. Cette tentative est un échec car les Nantais refusent catégoriquement et par principe tout marché avec « les brigands » le 14 mai. Un des trois prisonniers, Pierre Haudaudine, très respectueux de la parole donnée, tient à revenir en prison à Montaigu. Il fera par la suite partie des 5 000 prisonniers graciés par Bonchamps à Saint-Florent-le-Vieil le 18 octobre et, reconnaissant, il réussit lui-même à sauver Madame de Bonchamps de l’exécution.

 L’histoire de Haudaudine.

   La guerre civile proprement dite, toujours proche, va revenir directement à Montaigu dès le mois de septembre 1793.

   Le dimanche 15 septembre en effet, le général Charette de la Contrie, avec son armée et des milliers de refugiés, pénètre dans la ville de Montaigu. Comme il est poursuivi depuis Léger par les armées républicaines de Beysser et de Canclaux, il ne s’y arrête pas longtemps, se repliant vers Cugand et Clisson. Les Bleus se dirigent néanmoins vers Montaigu.

 Le vieux pont de Riaillé vers 1900 (aujourd’hui disparu).

   Le lendemain lundi 16 septembre 1793 au matin, la ville se trouve pratiquement encerclée par les soldats mayençais. Le général Kleber occupe le flanc gauche, le général Beysser le droit et le général Aubert-Dubayet le centre. La faible garnison vendéenne n’est pas de taille pour pouvoir résister efficacement. Elle a tout d’abord fait couper des arbres sur les routes et détériorer des ponts pour rendre difficile la progression des Républicains. Elle fait tout de même une résistance désespérée à Kleber (qui arrive de Remouillé) au Nord au pont de Riaillé et à l’ancien pont voisin, là où le cours royal (actuelle RD 137) franchit le ruisseau du Gournet. Elle finit par se replier vers Tiffauges et à se regrouper avec l’armée d’Anjou pour ce qui sera la bataille de Torfou. Les soldats mayençais de Beysser, vainqueurs de cette « première bataille » s’emparent alors de la ville et la livrent à un véritable pillage en règle.

 La vieille ville de Montaigu, gravure du XIXème siècle.

   Après leur éclatante victoire sur l’avant-garde des Mayençais, commandée par Kléber, à la bataille de Torfou le jeudi 19 septembre 1793, les armées vendéennes se reposent un peu le lendemain à Tiffauges. Les généraux tiennent un conseil de guerre à cet endroit et décident de poursuivre les Mayençais de façon à essayer de les rejeter hors du territoire de la Vendée Militaire. Charrette et Lescure iront donc attaquer la colonne cantonnée à Montaigu puis ils se retourneront pour aller aider Bonchamps à les déloger de Clisson. Il s’agissait là d’un projet ambitieux qui demandait par conséquent une application très stricte.

Charette.                                                                                                         Lescure.
 

   Comme prévu samedi 21 septembre, les troupes se mettent en route. Neuf kilomètres plus loin, à Treize-Septiers, elles se divisent en deux groupes, le premier oblique vers la Guyonnière pour prendre Montaigu par le Sud, le second commandé par Joly se dirige en avant-garde directement vers l’Est de la ville. Cette dernière est toujours occupée par le général Jean-Michel Beysser qui, ignorant encore le résultat de la bataille de Torfou, s’y croit parfaitement en sécurité avec 8 000 hommes. Joly et ses hommes rencontrent la première ligne républicaine dans les faubourgs et sous un feu violent l’oblige à se replier en direction du centre ville. Totalement surpris, Beysser fait alors donner l’artillerie contre les 6 000 hommes qui arrivent maintenant avec Lescure et Charrette. Les vendéens, selon leur habitude, rendent les canons inefficaces en se couchant par terre, à chaque fois juste avant le tir des boulets et en avançant ensuite juste après très rapidement pendant la préparation d’un second tir. Ils parviennent ainsi à neutraliser les artilleurs sans défense et à s’emparer des canons.

 Le vieux château de Montaigu au XIXème siècle.

   Les Républicains essayent, comme la première fois, de se regrouper dans l’enceinte du château mais en vain, il est trop tard. Joly investit déjà la forteresse où se trouvent encore 500 Bleus, notamment les grenadiers. Le représentant Cavaignac réussit tout de même à éviter l’anéantissement total de la colonne républicaine. Au bout d’une heure de combat, Beysser ordonne la retraite en direction de Nantes, la cavalerie ayant déjà ouvert la marche dans cette direction. Blessé, il parvient toutefois à organiser la retraite de ses effectifs en direction de Nantes en particulier des 79éme et 109ème régiments d’infanterie. Arrivé au pont de Remouillé, situé juste après la limite des départements de Vendée et de Loire-Inférieure, il réussit finalement à stopper à cet endroit les assauts incessants des vendéens qui l’ont poursuivi jusque là.

 Extrait du plan cadastral de Remouillé en 1813.

   Le comité de Salut Public à Paris ne pardonnait que très rarement à ses généraux vaincus, quelle que soit leur valeur ou les services rendus antérieurement. Le général Beysser fut donc par la suite accusé et tout naturellement condamné à la guillotine.

A Montaigu, le lendemain dimanche 22 septembre, Lescure et ses soldats angevins vont assister à la messe célébrée par un prêtre réfractaire dans l’église Saint Jean-Baptiste de Montaigu. Pendant ce temps-là, certains des hommes de Joly dévastent le château mais sont heureusement empêchés par leurs chefs d’aller commettre d’autres exactions en ville. Selon l’érudit Dugast-Matifeux, certains prisonniers républicains capturés dans la forteresse auraient alors été exécutés et leurs cadavres jetés dans le puits voisin.

L’ancienne église de Montaigu (reconstruite en 1863).

   Alors que les généraux tiennent conseil dans le château, des lettres envoyées par les 600 habitants de Saint-Fulgent les appellent au secours pour venir délivrer la ville des troupes bleues qui l’ont envahie et y sèment la terreur. L’opération n’est peut être pas trop risquée, mais elle contredit le plan arrêté en commun à Torfou et risque de laisser Bonchamps seul se faire écraser par les Mayençais à Clisson. Charette et Joly sont pour, Lescure contre, mais il va finir par se laisser convaincre par ses collègues.

   Les armées quittent aussitôt Montaigu pour se diriger vers le Sud en direction de Saint-Fulgent, distant de 20 kilomètres et en utilisant le grand cours (anciennement « royal » et actuel RD 137). Ils passent ainsi dans l’après-midi, sans encombre, le vieux pont Boisseau sur la rivière la Maine juste à l’entrée de Saint Georges-de-Montaigu. A cet endroit, ils sont déjà repérés par les éclaireurs de l’armée républicaine.

Le vieux pont Boisseau à St Georges-de-Montaigu.

   Aussi, leurs ennemis prévenus les attendent de pied ferme un kilomètre avant l’entrée Nord du bourg de Saint-Fulgent. Ils sont commandés par le général Mieskouski. Il est 17 heures quand la bataille s’engage par un duel d’artillerie, qui dure près de deux heures et n’aboutit pratiquement à aucun résultat. A 19 heures, alors que la nuit tombe, les tambours vendéens contournant le bourg des deux côtés vont sonner, faisant croire à des attaques d’encerclement. Les Bleus se replient alors en ordre en direction du centre ville. Charrette, suivi d’un tambour battant la charge, de Joly et de Savin, les prend en chasse vigoureusement dans la longue rue principale de Saint-Fulgent.

La longue rue principale de Saint-Fulgent.

   La nuit est maintenant tombée et c’est un violent combat au corps à corps qui se déroule dans la rue de Saint-Fulgent plongée pratiquement dans l’obscurité. Pour effrayer leurs adversaires les Blancs hurlent sans cesse « Vive le Roy » et leurs cris sont amplifiés par l’écho produit par les maisons construites en rangs serrés. Planchot, un farinier de la Gaubretière, utilisant cette espèce de petite flûte locale appelée « flageolet », joue sans cesse par dérision et d’une manière lancinante le chant du « ça ira ». Quand son cheval est abattu, il va s’asseoir sur une borne et continue à jouer. Selon les écrits de la marquise de La Rochejaquelein cette même action aurait bien été réalisée, mais par un certain Rynks, un jeune Suisse appartenant à la cavalerie. Malgré l’heure tardive, on continue à se fusiller presque à bout portant. Dans l’obscurité, les soldats des deux camps puisent parfois des balles dans les mêmes fourgons militaires, pour s’entretuer ensuite.

 La Bataille de Saint-Fulgent (Album Vendéen).

   Les bataillons républicains « Le vengeur » et « l’invincible », malgré leurs noms prétentieux, sont presque entièrement anéantis. Le général Mieskouski a perdu la meilleure partie de son armée, après huit heures de combats effroyables. La bataille se termine pratiquement dans les jardins d’un grand logis situé au centre du bourg. C’est aujourd’hui le parc de l’actuelle Mairie de Saint-Fulgent. La tradition familiale affirme que c’est à cet endroit qu’est tombé un de nos ancêtres du côté maternel. Ne pouvant continuer à résister, les Républicains survivants se décident à faire retraite en direction des Quatre-Chemins de l’Oie. On raconte qu’un habitant de Saint-Fulgent nommé Monnereau  tue un Bleu à l’aide de sa fourche, lui prend son fusil et s’en sert pour abattre ensuite seize fuyards. Pourtant, cette victoire masque mal un fait bien plus important : Bonchamps, sans le soutien attendu, n’a pas réussi à refouler les Mayençais qui menacent encore la Vendée. Aux yeux de l’état-major vendéen, Charette en portera la responsabilité. Il n’y aura plus désormais d’opérations communes.

 Le parc actuel de la Mairie à St-Fulgent.

   Durant la Guerre de Vendée, il faut bien considérer que les deux camps n’ont jamais vraiment fait jeu égal. Alors que les Bleus constituent une véritable armée disciplinée, les Vendéens forment un groupe de paysans volontaires qui viennent pour participer aux batailles et puis retournent chez eux ensuite pour effectuer les travaux agricoles. De ce fait, il leur est très difficile de tenir garnison. Ils laissent donc pratiquement sans réelle surveillance des villes qu’ils ont pourtant conquises très chèrement.

   Ainsi dès le 27 septembre, l’armée du général Kléber vient camper au nord de Saint-Hilaire-de-Loulay sans éprouver la moindre difficulté. Et trois jours plus tard le 30 septembre 1793, ne rencontrant pratiquement pas de résistance, son armée entre dans Montaigu et s’y installe.

   L’amiral Louis-Charles du Chaffault comte de Besné, habitant ordinairement le château de Meslay à la Guyonnière, se trouvait ce jour là dans la maison de sa fille au N°2 de la rue Noire. Il fut accusé, par dénonciation, d’avoir dirigé les Vendéens d’une fenêtre du 1er étage. En fait, dans cette rue étroite et écartée des opérations, il était matériellement impossible de diriger quoi que ce soit. Il n’en fut pas moins aussitôt arrêté et conduit à la prison de Luzançay près de Nantes. Il y mourut dans le plus complet dénuement le 29 juin 1794 (11 messidor de l’an II). Sa fille Pélagie veuve de Louis Le Maignan de Lécorce, se sentant menacée, rejoignit les armées vendéennes, participa à la Virée de Galerne et y périt.

 La maison du Chaffault, 2 rue Noire à Montaigu (à droite).

   L’armée républicaine installa une garnison importante à Montaigu et conserva cette fois-ci sans encombres la ville jusqu’à la fin du conflit. Elle restera ville de garnison jusqu’à la fin du Ier Empire. Pourtant, lors des évènements de novembre 1799, le comte Constant de Suzannet tenta de prendre la ville mais ne put dépasser Meslay.

 

 


LA BATAILLE DE TORFOU  (19 septembre 1793)

 

 La colonne de Torfou en 1900.

   Cette carte postale, portant le numéro 32 (écriture rouge), compte parmi les premières que le célèbre photographe Eugène Poupin de Mortagne-sur-Sèvre a réalisées (celle-ci vers 1900). Elle est intéressante à un double titre puisqu’elle nous montre, outre la colonne, le curieux véhicule hippomobile dont se servait l’éditeur pour ses déplacements professionnels ainsi que trois jardiniers probablement du château voisin du Couboureau. Ces derniers seraient venus entretenir les espaces verts aux abords de la colonne.

L’armée de Mayence.

1°- La Bataille :

   Après la capitulation de Mayence, le 23 juillet 1793, la Convention avait décidé d’envoyer, contre les Vendéens, les troupes qui venaient d’être libérées en échange de la promesse de ne pas servir contre les puissances coalisées. Ces soldats, surnommés de ce fait les Mayençais et considérés comme « invincibles », étaient placés sous les ordres du général en chef Jean-Baptiste Aubert Dubayet secondé par les généraux Louis-Antoine Vimeux, Beaupuy, François Haxo et Jean-Baptiste Kléber pour l’avant-garde. Ils étaient arrivés dans la ville de Nantes le vendredi 6 septembre 1793. Pendant dix jours ils s’étaient chargés de nettoyer de l’insurrection les abords de Nantes. Dès le 16 septembre, Charrette s’était fait attaquer par eux à Montaigu. Parvenu à se dégager, il avait compris l'importance de la menace.

   Le 18 septembre 1793, les Mayençais occupent la ville de Clisson où vient s’installer également l’état major de l’armée des côtes de l’Ouest commandée par le général Jean-Baptiste de Canclaux. L’après-midi même, Kléber avec son avant-garde de 2000 hommes décide de se diriger vers Gétigné, Boussay et Torfou.

                           Infanterie républicaine 1793-1794.                                                           Soldat Mayençais.
  
   En effet ses ordres sont de suivre la Sèvre Nantaise par le chemin de Boussay et de Torfou, pour ensuite faire sa jonction avec le général Jean-Michel Beysser qui, lui, doit venir de Montaigu. Ensemble ils doivent ensuite aller prendre la ville de Mortagne-sur-Sèvre et son parc d’artillerie.

    Au matin du jeudi 19 septembre 1793, vers 9 heures du matin près de Boussay, Kléber, est attaqué par un groupe de cavaliers de Charrette qui n’engage pas le combat plus avant et s’échappe vers Torfou. Les Mayençais arrivent ainsi avant 10 heures sur le plateau de la Métairie qui domine le terrain, au Nord-Ouest, devant Torfou. Bien entendu ils empruntent l’ancienne route et traversent la rivière sans encombre au gué dit du Bon-Débit. A cet instant, Kléber est parfaitement sûr de lui car il est convaincu de n’avoir devant lui que l’armée de Charrette.

Le gué du Bon-Débit : comparaison d’une photo aérienne actuelle avec l’ancien plan (source Portail IGN).

   Malgré les importantes modifications du paysage depuis le XVIIIème siècle, tout particulièrement à cet endroit, à la suite des constructions de nouvelles voiries et d’une ligne ferroviaire, le gué du ruisseau du Bon-Débit est encore visible aujourd’hui. Sur la photo aérienne ci-dessus, les différences de couleur de la végétation (marquées par des flèches) font apparaître en certaines saisons le tracé exact de l’ancien chemin  que les Bleus ont emprunté.

 La passerelle au gué du Bon-Débit en 2017.

   Depuis le plateau de la Métairie, le général fait bombarder le clocher de l’église de Torfou et les maisons environnantes par ses canons utilisant des boulets incendiaires au souffre. Il s’agit évidemment de l’ancien clocher puisque l’église actuelle a été construite au XIXème siècle. Prise de panique, une grande partie de la population fuit la ville vers l’Est en direction des troupes vendéennes. Ce sont les chasseurs qui sont chargés de prendre la ville. Contenus quelques temps, ils réussissent ensuite à faire reculer les 300 soldats de Charrette jusqu’à la sortie de la ville puis à les faire fuir. A ce moment là Kléber se croit vainqueur et va s’avancer au delà de la ville en direction de l’Est.

L’entrée ouest de Torfou vers 1905.

   Prévenues, plusieurs Armées Vendéennes sont déjà présentes sur le terrain depuis la veille. Elles ont bivouaqué, dans la nuit du 18 au 19 septembre, le long de la route de Montaigu à Cholet : Charles de Royrand au sud près de Tiffauges, puis Louis de Lescure et Maurice d’Elbée au centre. Charles de Bonchamps, blessé, n’arrivera avec ses hommes que le lendemain matin et prendra l’emplacement le plus au Nord. A minuit, sur un autel improvisé, l’abbé Bernier a célébré, dans la plus grande ferveur, une messe au lieu dit « la foire du Couboureau » non loin du château du même nom et du site de la célèbre bataille.

                 Le porte drapeau de la paroisse de La Verrie.                                                                Soldat Vendéen.

   A la sortie du bourg de Torfou en direction de l’Est, les soldats bleus se sont divisés en trois formations de combat :- 1° un bataillon vers le Nord-Est en direction approximativement du lieu dit La Fontaine, - 2° les grenadiers sous les ordres de Bouin-Marigny vers le Sud-Est en direction de la Barre - et 3° l’infanterie commandée par Kléber lui-même, au centre par le Bas-Bourg.

   Les grenadiers sont les premiers à rencontrer les maraichins de Charrette. Ils les ont déjà délogés de Torfou et ceux-ci sont impressionnés par la tenue et la discipline de cette armée qui avance en ligne et que rien ne semble pourvoir dévier de son objectif. Il faut dire que jusqu'à présent ils avaient surtout rencontré des soldats issus pour la plupart de la levée en masse, sans véritable expérience militaire. Ces jeunes gens étaient surtout différents d’eux parce qu’ils s’étaient soumis à la fameuse loi de levée en masse, alors que cette dernière était responsable du déclenchement de la rébellion dans l’Ouest. Les troupes de Charette fléchissent, reculent et se sauvent.

 Plan de la Bataille de Torfou.

   Les femmes des combattants (et parfois même leur famille), que nous appellerons par simplification les Vendéennes alors qu’elles sont originaires de tous les départements de la Vendée Militaire, sont restées en prières à l’arrière. Certaines se sont mises à l’abri dans l’enceinte du château féodal de Tiffauges. D’autres sont présentes dans les rues de Tiffauges ou sur la route. Les plus hardies se sont avancées jusqu’à la chapelle Saint-Julien près de la Sèvre et même dans un chemin du vallon de la Barre tout près de la ligne de front. Cette petite route, « le chemin du pâtis » est souvent appelé aujourd’hui « la route des Femmes ». Placées à cet endroit, elles voient soudain venir en courant des petits garçons épouvantés précédant de peu des hommes en fuite qui arrivent en criant « sauve qui peut ».

Le château féodal de Tiffauges.

   Profondément choquées, les femmes s’empressent spontanément de leur barrer la route, les insultent copieusement : « lâches..., gredins..., soldats de deux sous... ». Elles les convainquent de repartir au combat, au besoin les frappent avec des fourches, des bâtons, des cailloux ou leurs sabots. Louis Brochet dans son ouvrage cite « la mère Giraudelle » (Jeanne Giraudeau) de Montaigu, comme étant particulièrement virulente. C’est précisément cet épisode qu’Alfred du Chasteignier a représenté dans son tableau consacré à la bataille de Torfou, et qui est reproduit ci-dessous. Certaines femmes vont même s’élancer pour participer au combat. Perrine Loyseau de la Gaubretière abat trois Bleus à l’aide d’un sabre dont elle vient de s’emparer. Les hommes, penauds, s’arrêtent et commencent à rebrousser chemin. Charrette a vu la scène, il accourt à cheval et s’adressant à ses hommes leur crie « Qui m’aime me suive, puisque vous m’abandonnez, je vais moi-même vaincre ou mourir ». Les fuyards repartent immédiatement rejoindre leurs compagnons qui résistaient encore.

 La bataille de Torfou, tableau d’Alfred du Chasteignier.

   Pendant ce temps là, au centre, l’infanterie s’est avancée vers l’Est en direction de la Gautronnière en suivant globalement l’ancien chemin. Elle ne dépassera jamais le niveau du lieu-dit La Frogerie. En effet, elle vient de rencontrer l’armée du généralissime d’Elbée. C’est à ce moment que Kléber se rend compte, avec surprise, qu’il est en face de plusieurs armées Vendéennes et que la journée ne sera pas une simple promenade militaire. Il a d’ailleurs été blessé d’un coup de feu assez tôt et malgré son épaule fracassée, il est resté diriger les opérations. Les Mayençais en rangs serrés chargent à la baïonnette et enfoncent assez facilement les groupes de paysans. Lescure, voyant le danger, descend de son cheval et saisissant un fusil s’écrie avec bravoure « Y a-t-il quatre cents hommes de bonne volonté pour mourir avec moi ». Mille sept cents se seraient présentés immédiatement, originaires de Courlay, Les Aubiers, Yzernay et Les Echaubrognes. Le capitaine Jean Bourasseau lui répond : « Allez, Monsieur le Marquis, nous vous suivrons où vous voudrez ». Ils se forment en colonne et s’élancent à l’assaut des Bleus en poussant leur célèbre cri de guerre « Rembarre ». Ils vont tenir ainsi pendant deux heures ce choc terrifiant. Ce qui fera dire à Kléber, avec son accent alsacien : « Tiaple, ces prigands se pattent pien ».

Charrette d’après le tableau de J-Be Paulin-Guérin (1827).  Maurice Gigost d’Elbée d’après le tableau de J-B Paulin-Guérin (1827). »

   Bonchamps, par la route de Cholet et de La Romagne arrive maintenant sur le champ de bataille avec son armée. Grièvement blessé, il est porté par ses hommes sur une civière mais il tient, comme Kléber, à rester à son poste et à diriger la manœuvre. Très loin de combattre en ligne, ses soldats se dispersent sur le terrain en un apparent désordre pour se regrouper brusquement au moment de l’attaque. Bonchamps est à la recherche d’un chemin, celui provenant de la Tallandière, pour envoyer une partie de ses hommes tourner les Bleus sur leur flanc gauche et couper leurs lignes. La fougue de ces troupes fraîches, arrivant dans une bataille déjà très éprouvante, déstabilise les Mayençais qui fléchissent devant elles.

   Kléber lui-même raconte la suite des événements dans son rapport adressé à la convention nationale : « …à peine la fusillade se fit-elle entendre sur nos derrières que tous les yeux se dirigèrent de ce côté et que quelques voix s’écrièrent « nous sommes coupés ! ». Ce fut dans cet instant que Boisgérard, le chef d’état major, s’apercevant que l’artillerie n’était pas assez couverte, voulut disposer d’un des bataillons de la droite, qu’il voyait n’être point occupé. Ce bataillon se mit en mouvement pour se porter en arrière ; mais avec trop de précipitation sans doute, puisque son mouvement fit croire qu’il se retirait. Il ne fut que trop suivi. Ce fut en vain que les braves s’efforcèrent de faire rester chacun à son poste, rien ne put arrêter le désordre…».

   La décision de déplacer une division du sud pour l’envoyer renforcer celles du nord est militairement judicieuse, mais à ce moment-là elle est mal interprétée par les autres bataillons qui pensent qu’il s’agit là des prémices de la retraite. D’autant que les soldats sont découragés car toutes leurs farouches attaques se heurtent à la détermination des Vendéens qui sont de plus en plus maîtres du terrain. Malgré des prodiges de valeur et de ténacité, les Mayençais, débordés par le nombre, fléchissent. Les exhortations du conventionnel Merlin (dit de Thionville), représentant du peuple en mission, ne les empêchent pas de reculer. Kléber écrira également dans son rapport à la convention nationale : « Jamais on ne vit un combat, un acharnement plus terrible, les rebelles combattaient comme des tigres et mes soldats comme des lions ! ». Il vient de comprendre qu’il a désormais peu de chance de remporter la victoire mais qu’il lui faut avant tout sauver son armée. La certitude de remporter une victoire sur ces groupes de paysans était telle que le désarroi est immense dans le camp des dirigeants républicains. Certains officiers désappointés et de peur de tomber aux mains des « Brigands », préfèrent se brûler la cervelle. Les Mayençais, tout en se défendant, retraversent Torfou en flammes et se déplacent en assez bon ordre vers Boussay. « Malgré l’extrême difficulté des chemins et le nombre toujours croissant de leurs ennemis, ils se remettaient en bataille et reculaient successivement de trente en trente pas, faisant des feux de file semblables aux roulements de tambours. ». L’armée laisse en fait beaucoup de morts sur le terrain.

La croix de la Barre.                                                                                       La croix de la Gautronnière.

   Les pertes humaines pour la totalité de l’affrontement dit de Torfou (retraite comprise), estimées à 4000 personnes au XIXème siècle, sont évaluées plus raisonnablement, à notre époque, à environ 1000 hommes pour les Bleus morts et grièvement blessés, soit la moitié des effectifs engagés et à 600 pour les Vendéens. Avant de poursuivre les évènements de la journée, nous ne quittons pas Torfou sans avoir observé les deux calvaires implantés sur les lieux mêmes des combats (cf. photos ci-dessus) :

­     Le calvaire au lieu-dit La Barre (dit « croix des Blancs ») a été élevé en 1839 par la famille Grimaud pour commémorer les combats sanglants de la bataille de Torfou et les massacres de 1794. L’inscription suivante est gravée sur le montant de la croix : « 1839/ GRI/ MA/ UD / ». Il a été béni en 1840 par l’abbé Charles Foyer curé de Torfou et lui-même rescapé de cette bataille.

­     Le calvaire au lieu-dit La Gautronnière (dit « croix des Bleus ») a été érigé en 1837 par Pierre Rautureau, à côté des charniers où ont été déposés les soldats républicains morts en septembre 1793. Pierre Rautureau avait eu la chance rare d’être épargné par ces derniers.

 Place de Torfou devant la chapelle Notre-Dame de Lourdes en 1905.

   Cette magnifique carte postale, très animée, nous montre une place de Torfou où se situe la chapelle Notre-Dame de Lourdes. On en aperçoit le côté à droite du cliché. Cet édifice a été construit par l’abbé Béziau curé de Torfou, grâce à des dons, pour plusieurs raisons et en particulier pour servir d’ossuaire aux victimes Vendéennes de la révolution. Il s’agit surtout de victimes des colonnes infernales en 1794, mais aussi de quelques soldats de la bataille de 1793. Elle a été consacrée le Lundi de Pâques 14 avril 1879 par le Révérend Père Abbé de Bellefontaine.

2°- L’Armée du Centre :

   Pendant la durée de la bataille, Royrand avec une partie de l’Armée du Centre avait été tenu en réserve près de la route à proximité du bourg de Tiffauges, pour pouvoir intervenir en cas d'arrivée de renforts républicains venus de Montaigu. Et il tardait à ses hommes de se rendre utiles. Certains historiens douteraient parfois de la présence personnelle de Royrand à Torfou, mais l'Armée du Centre était de toute façon représentée à cette bataille.

   Amédée de Béjarry officier de l’armée de Royrand et donc témoin oculaire écrit dans ses Mémoires : « M de Royrand et une partie de l’armée du centre se portèrent rapidement, par la rive gauche de la Sèvre, vers le pont de Boussay, afin de couper aux républicains la retraite vers Clisson. L’armée de Kléber eût été anéantie par ce mouvement, si ce général n’avait trouvé dans le bataillon qu’il s’était hâté d’y envoyer un chef, Schwardin, qui combattit jusqu’au dernier homme et qui par son dévoûement, sauva le reste de l’armée ». Évidemment c’est le fils d’Amédée de Béjarry qui écrit et son petit-fils qui publie en 1884, mais c’est conformément aux notes laissées par le père. De plus, nous avons personnellement parfois trouvé Amédée de Béjarry peu précis en ce qui concerne les lieux-dits mais nous ne l’avons jamais encore pris en défaut sur la stratégie générale. En outre, ce qu’il nous explique est parfaitement logique. Pour pouvoir tomber sur les arrières des Républicains, l’armée de Royrand devait les contourner en passant par la rive gauche de la Sèvre puis traverser la Sèvre pour arriver devant eux. Il leur fallait donc trouver un passage sur la rivière à la hauteur de Boussay, et bien au-delà de la Grossière. C’était une stratégie identique à celle que venait de tenter Bonchamps à l’autre bout du champ de bataille. N'oublions pas que les Vendéens avaient sur les Républicains l'avantage de pouvoir disposer de guides connaissant bien les lieux.

   Les écrits de plusieurs historiens à partir du XIXème siècle laissent penser que le sacrifice de Chevardin pourrait avoir eu lieu plutôt en direction de Gétigné : Pitre-Chevalier en 1851, Louis Brochet en 1902 et Emile Gabory en 1963 par exemple. En revanche la version de Béjarry est sous entendue chez Beauchamp en 1807, Crétineau-Joly en 1840 et plus près de nous, elle est très clairement adoptée par l’abbé Billaud en 1967 et notre ami Philbert Doré-Graslin en 1992, par exemple.

Le pont actuel de Boussay dit Sainte-Radegonde.

   Amédée de Béjarry parle « du » pont de Boussay, mais il ne s’agit évidemment pas du pont actuel, dit Sainte-Radegonde, qui est visible sur la photo ci-dessus. Cet ouvrage d’art avec quatre arches en pierres a été édifié en 1858, en même temps que les nouvelles voiries.

 Le Pont de Boussay sur l’Album Vendéen.

   Il aurait alors pu s’agir de celui qui est représenté sur la gravure ci-dessus extraite du célèbre et précieux « Album Vendéen » (1856) ; Mais, il n’en est rien car, Thomas Drake a fait figurer un petit pont conduisant de la rive droite (côté Boussay) à un moulin situé sur une petite île ; mais ne traversant pas toute la rivière (à l’image du pont d’Avignon). Cette disposition ne se retrouve exactement qu’au lieu-dit Feuillou à un kilomètre environ en amont. D’ailleurs, la disposition des maisons construites aux alentours le confirme totalement. Il est donc probable de Drake a recherché un point de vue artistique pouvant fournir une image esthétique plus que la rigueur historique. On notera au passage que le moulin et les maisons visibles sur le croquis sont tous représentés à l’état de ruines. C’est sans doute pour faire « authentique » car cela ne devait plus être le cas vers 1850.

 La Sèvre au moulin de Charrier.

   Il existait bien un petit pont ou une passerelle en bois au lieu dit Charrier à 300 mètres en amont du pont actuel. La carte de Cassini (vers 1760) ne l’indique pas, mais c’est normal, puisque ce dernier ne fait jamais figurer les chemins mais seulement les routes principales, et donc pas non plus les petits ponts sur les dits chemins.

  Extrait de la carte de Cassini 1760.

   De grosses pierres apparaissent encore aujourd’hui en ce lieu dans la rivière, mais ce n’est peut-être pas une preuve suffisante car on en trouve un peu partout dans la Sèvre, qui est même appelée « rivière de pierres »  en plusieurs endroits, en particulier à Mortagne-sur-Sèvre et tout près d’ici à Chaudron. En revanche, sur les cartes postales anciennes datant de 1905 environ, l’alignement des piles du pont passerelle est parfaitement visible, sans ambiguïté, dans la rivière (cf. carte ci-dessous).

 L’ancien pont de Charrier vu du pont Sainte-Radegonde.

   Ce pont figure bien sur le cadastre dit napoléonien de la commune de Boussay mais on le devine seulement sur celui de La Bruffière, de l’autre côté. Or le cadastre était un document dont l’objectif était de représenter les parcelles pour des raisons fiscales. Les voiries en limite de carte (sur les rivières limitrophes par exemple) n’y étaient pas toujours dessinées. Si ce cadastre a la plupart du temps été effectivement établi sous la Restauration ou le règne de Louis-Philippe, comme à La Bruffière (1819), à Boussay par contre, il date de 1809. Il est donc peu probable que durant cette période (de 1794 à 1808) où tout était à reconstruire, on ait eu le temps et l’argent pour créer des ouvrages nouveaux. On pourrait donc en déduire qu’un petit pont, ou une passerelle en bois, existait bien à Boussay au XVIIIème siècle. S’il y en avait assez peu à cette date, au siècle suivant par contre, on en a multiplié le nombre sur la Sèvre, pratiquement à tous les moulins pour faciliter l’activité économique de ces derniers (Feuillou, et Chaudron par exemple). D’ailleurs le dessin du pont de Charrier sur le cadastre est complètement différent de ceux des autres passages et permet de le différencier des barrages (Bapaume) et des chaussées avec gué (Chaudron, Dobigeon, Feuillou) relevant des moulins à eau. On ne manquera pas de remarquer sur l’assemblage des deux cadastres ci-dessous qu’à La Bruffière on a esquissé sur l’original le projet de tracé de la nouvelle voirie en direction du pont Sainte-Radegonde.

 Assemblage d’extraits des cadastres de Boussay et de La Bruffière.

   Kléber, là où il est venu se placer un instant au début de la retraite, sur une partie élevée au lieu-dit Le Châtelier, a naturellement eu la possibilité (avec sa longue vue) d’apercevoir les Vendéens marchant à pas pressés sur le chemin de l’autre côté de la rivière. Si Royrand avait réussi sa manœuvre, il aurait pu ainsi encercler l’armée adverse, la mettre en péril, et lui couper toute possibilité de repli stratégique en direction de Clisson. C'est-à-dire remporter une victoire complète alors que la bataille de Torfou est souvent qualifiée de « victoire en demi-teinte ». De ce fait, c’est bien ici, et à ce moment là, que Kléber devait impérativement « sauver » son armée à n’importe quel prix. Ensuite, lors de la déroute, à chaque passage de pont, il lui faudra seulement retarder les poursuivants pour « protéger » l’armée dans sa fuite. Il est donc plus que probable que c’est à cet endroit qu’il a envoyé un de ses officiers défendre à tout prix ce passage avec un bataillon de 100 hommes, Antoine Chevardin (Schwardin) lieutenant-colonel aux chasseurs de Saône, par exemple, ou un autre.

 Le chemin emprunté par les soldats de l'Armée du Centre à la Bruffière.

  La phrase célèbre « Faites-vous tuer à la tête de ce pont avec votre bataillon et sauvez l’armée » a-t-elle bien été prononcée ? Il y avait peu de témoins pour l’entendre et Kléber lui-même n’en parle pas clairement dans ses mémoires ! Il est probable qu’elle a été inventée postérieurement comme certaines des phrases historiques célèbres telles que celle attribuée à Cambronne lors de la bataille de Waterloo en 1815 : « La garde meurt mais ne se rend pas ». A la fin de cette guerre, la convention nationale allait transformer ses soldats en instruments pour ses crimes contre l’humanité, elle avait donc terriblement besoin de véritables héros à mettre en exergue, quitte à arranger un peu la vérité. De toute façon, cette phrase a au moins le mérite de résumer parfaitement la situation.

   En tous cas, les combats au passage de Boussay ont bien été particulièrement violents. Nous savons par ailleurs que des soldats de notre contrée y sont morts ou blessés. Quelqu’un que nous connaissons bien, pour l’avoir rencontré par ailleurs et parce que c’est l’ancêtre d’un de nos amis, Louis-Ambroise Barreau capitaine de paroisse de Sainte Cécile (Vendée) y a été très grièvement blessé. Il a été sauvé par ses hommes qui l’ont ramené chez lui au village des Chaffauds, où il est mort (mais seulement 38 ans plus tard le 30 juillet 1831 !).

  La bonne question qu’il convient de se poser est de savoir ce qu’a bien pu faire ensuite Royrand avec une partie de l’armée du Centre, après avoir été bloqué à la Sèvre, on ne nous le dit nulle part ! Est-il revenu sur ses pas jusqu'à Tiffauges pour retourner ensuite à la bataille vers Torfou ? C’est fort peu probable, car il serait arrivé trop tard. A-t-il au contraire essayé de trouver des passages possibles sur les gués voisins, ou suivi la Sèvre plus loin, vers le lieu dit Rousselin ou beaucoup plus loin encore au village de Chevalier ?

Le petit pont de Chevalier vers 1905.

   Nous sommes personnellement tenté de penser, qu’après avoir défendu le passage pendant plus d’une heure, au moment de la retraite, alors que l’armée était désormais parvenue au niveau de l’aval de ce lieu, les très rares soldats républicains survivants auraient pu abandonner le pont dont la défense n’était désormais plus vraiment utile. Royrand aurait alors pu passer pour se joindre aux autres armées harcelant les Bleus dans leur retraite. Nous savons en effet, par des souvenirs, que plusieurs soldats de l’armée du Centre y ont participé activement.

 Les Grottes de Sœur Hélène à Boussay.

   Dans la légende de la carte postale ci-dessus (N° 22, début de l’année 1903), le célèbre photographe local Eugène Poupin de Mortagne-sur-Sèvre (Vendée) se fait l’interprète des traditions locales en racontant qu’une religieuse se serait cachée pendant toute la Révolution Française dans les grottes de la falaise de Boussay à Chaudron. Or, ce lieu-dit est distant de moins d’un kilomètre de Charrier, c’est le moulin suivant en allant vers l’aval de la rivière. Cette religieuse aurait soigné des blessés issus des deux camps, restés sur le terrain. Pourtant, le règlement de l’Armée du Centre prévoyait, en principe, que les soldats auraient dû être transportés à son hôpital de campagne le plus proche, c’est à dire à Saint Laurent-sur-Sèvre. Ainsi, cette tradition du cru vient ajouter du crédit à la thèse de violents combats survenus à proximité, au bord de la Sèvre.

   Le même Eugène Poupin a placé l’épisode de Chevardin et du pont de Boussay dans la légende d’une autre de ses très nombreuses cartes postales (N° 331), réalisée à la fin de l’année 1903. Cette dernière représente un minuscule pont rustique traversant un petit ruisseau dans la commune de Boussay sur la rive droite de la Sèvre. Cet endroit était en fait situé à la limite du périmètre de la bataille et se trouve aujourd’hui sur le sentier de randonnée aménagé parallèlement à la Sèvre, dit « des Trois Provinces ».

   Et curieusement, il reparle du même épisode dans la légende d’une autre de ses cartes postales consacré à la croix du Chemin des Morts dont nous reparlerons plus loin. Cet autre cliché a été photographié le même jour que le précédent puisqu’il porte le numéro juste suivant (N° 332).

 Petit pont du sentier.                                                                               Croix du chemin des morts.

3°- La Retraite :

   Après cette digression, nous allons maintenant retrouver Jean-Baptiste Kléber qui vient d’abandonner son poste d’observation près du Châtelier pour diriger la retraite de son armée, ou tout au moins de ce qu’il en reste, en direction de Gétigné. On peut lire la suite du récit dans son même rapport : « Quant à nos quatre pièces de canon, il parut impossible, au premier coup d’œil, de les faire rétrograder dans les défilés horribles qui conduisent à Torfou : cependant, chacun mettant la main à l’œuvre, elles furent conduites encore assez loin ; mais, un caisson de la tête venant à se briser, tout resta en stagnation jusqu'à ce que le général en chef, prévenu par des ordonnances envoyés successivement par Merlin et par moi, vint nous porter un renfort…. ».

   Avec prudence, il essaye visiblement de faire croire aux conventionnels que l’artillerie, abandonnée sur place (vers la Maigrière) a été sauvée, alors qu’il n’en est rien. Il est constamment harcelé par les Vendéens qui sont aux trousses de son armée, d’un côté ou de l’autre. Peu à peu, il est contraint d’abandonner ses charriots de bagages, de vivres et de réserve de munitions. Le repli stratégique est devenu successivement, une retraite puis une déroute, elle va finir comme une débâcle. A défaut d’utiliser uniquement l’ancien chemin, il en suit au moins largement la direction. Et de ce fait, à chaque fois qu’il va falloir franchir un ruisseau quelconque à l’aide d’un pont ou d’un passage, cela va provoquer un goulet d’étranglement. Et certains de ses soldats vont encore devoir se sacrifier pour permettre à leurs camarades de passer sans trop de difficultés.

 Kléber lors de la retraite de Torfou.

   Le cas va surgir très rapidement à 1 kilomètre 500 après la sortie du bourg de Boussay, juste après les villages de La Herse et de Maison-Rouge pour la traversée du ruisseau. Il ne s’agit pourtant que d’un bien modeste cours d’eau et d’un vallon pas très profond. Le petit pont actuel ne comporte qu'une très modeste arche. Et nous sommes alors à la fin de l’été, c'est-à-dire globalement en période de basses eaux malgré les pluies des jours précédents! Les maraichins de l’Armée de Charrette, avec une « pigouille », ont l’habitude de franchir des fossés autrement plus larges ! Comment Kléber aurait-il pu laisser deux canons en batterie à cet endroit alors que nous venons d’apprendre qu’à ce moment il a déjà dû abandonner son artillerie ? En tous cas, la traversée retarde l’armée et la rend vulnérable aux coups de ses adversaires, il faut donc retenir les Vendéens pendant toute la durée de l’opération. Des sacrifices, comme celui attribué à Chevardin, sont encore necessaires à cet endroit. Cette escarmouche ajoute donc de nouveaux morts au bilan de cette journée. Ils s’égrainent tout au long de la route de Torfou, Boussay, Gétigné qui est baptisée, de ce fait, « chemin des morts ».

 Le site du petit pont de la Herse à Boussay.

   En 1829, on a implanté une nouvelle croix (dite « des morts ») sur une base de calvaire beaucoup plus ancienne, située au carrefour avec la rue actuelle conduisant à la gare de Boussay.  Nous avons vu tout à l’heure qu’Eugène Poupin était venu la photographier en 1903, le même jour que le sentier des Trois Provinces et y avait raconté une seconde fois la même histoire de Chevardin. En 1997, l’association le Souvenir Vendéen, présidée alors par Emmanuel Catta, y a fait apposer une plaque portant l’inscription suivante :

   « Croix de la Morinière / Restaurée en 1829 sur le chemin dit des Morts / Le 19 septembre 1793, à Boussay, le long du grand chemin / de Nantes à Poitiers, au soir de la victoire Vendéenne / de Torfou, Républicains dits Mayençais et Vendéens s’affrontent / Le général Kléber ordonne à Antoine Chevardin, chef du / Bataillon de Saône-et-Loire et à ses chasseurs de retenir / la poussée Vendéenne. Leur mort, qui épargne du désastre humain, a lieu sur le dit / grand chemin au pont de la Herse / S.V 1997 / ».

   Il s’agit là d’une autre interprétation des mêmes évènements !

Le calvaire dit de la Morinière.                                                                         La plaque du calvaire.

   Les Vendéens vont continuer à poursuivre les Mayençais depuis Torfou jusqu’à Gétigné, soit sur une distance de 4 lieues (16 km). Un nouvel affrontement a encore lieu au moment du franchissement d’une petite rivière avant l’arrivée au bourg. Des boutons provenant de l’uniforme de soldats républicains ont d’ailleurs été trouvés à cet endroit.

   A Gétigné, Kléber, craignant d’être totalement débordé, va installer ses troupes sur les hauteurs de la Garenne. Il y est rejoint par son collègue Louis-Antoine Vimeux avec des renforts dont Kléber avait adressé la demande à son supérieur Aubert-Dubayer. Une attaque serait de ce fait beaucoup plus hasardeuse. Charrette voudrait pourtant attaquer sans tarder mais ses hommes ont déjà commencé à fêter leur victoire en vidant les caves rencontrées. Ils ironisent déjà : « Ah, bah, ça ne vaut rien cette armée de faïence, ça ne tient pas au feu ». Les Vendéens tardent ainsi à attaquer et quand les premiers s’y risquent, ils se font refouler. Ils s’en tiendront là et vont simplement abandonner la poursuite. La bataille de Torfou est terminée.

Vue générale de Gétigné vers 1905.

4° - Les Commémorations :

   Après la révolution, à l’époque de la Restauration, Arnaud-Michel Jousseaume marquis de la Bretesche, conseiller général de Maine-et-Loire, officier de Saint Louis et ancien chef de la division Vendéenne de Montfaucon décida d’élever un monument en souvenir de la bataille de Torfou. Il avait prévu de le placer dans un endroit bien visible : le carrefour prévu de la route Clisson, Torfou, Mortagne (actuelle RD 949) avec celle de Montaigu, Tiffauges, Cholet (actuelle RD 753). D’autant plus que cet endroit se situait dans le périmètre de la bataille et touchait le départ de l’allée d’arbres conduisant à son château de Couboureau.

Le château du Couboureau reconstruit au XIXème siècle après l’incendie de 1794.

   La première pierre du monument a été posée le mardi 19 septembre 1826 (jour du 33ème anniversaire de la bataille de Torfou) par l’épouse du propriétaire Appolonie d’Andigné marquise de la Bretesche, en présence de M. de Chantreau Sous-préfet de Cholet, des Maires et Curés des environs ainsi que des anciens officiers et combattants des armées Vendéennes de 1793. On notait la présence du comte de Mesnard, premier écuyer de S.A.R. Madame. Marie-Caroline de Bourbon des Deux-Siciles duchesse de Berry, belle-fille du roy Charles X, n’avait pu être présente ; elle viendra ensuite séjourner au château de Couboureau le 6 juillet 1828.

   L’édifice, couramment baptisé « colonne », est en fait un cippe, c'est-à-dire une sorte de stèle funéraire destinée à rendre hommage aux Vendéens qui sont morts en se couvrant de gloire à cet endroit. C’est un cylindre en blocs de granit de 8,65 mètres de haut et 1,30 mètre de diamètre posé sur un socle rond de 5 mètres de diamètre, comprenant quatre contreforts enserrant des bancs en pierre.

   « La colonne » a été terminée en 1827. Initialement, il aurait été prévu des grands bas-reliefs en bronze représentant la bataille, mais ils n’auraient jamais été réalisés. Malheureusement juste après 1830, la chute du roy Charles X et le début de la Monarchie de Juillet, le nouveau Préfet de Maine-et-Loire envisagea de la détruire. Son collègue de Vendée avait les mêmes projets pour la Chapelle du Mont des Alouettes et la petite pyramide des Quatre-chemins de L’Oie. Finalement le Préfet se contenta de faire retirer et détruire les plaques de bronze avec les noms des généraux, les couronnes de lauriers ainsi que la couronne royale avec la fleur de lys. On aperçoit encore au niveau du couronnement deux rangées de trous de fixation. On ne manquera pas de remarquer également sur la carte postale ci-dessous les panneaux routiers en bois fixés directement sur la colonne à mi-hauteur à la fin du XIXème siècle.

La Colonne de Torfou vers 1903.                                                      Une des deux nouvelles plaques (1975).

   En 1975 le Souvenir Vendéen, présidé alors par Jean Lauprêtre, a fait poser deux nouvelles plaques de bronze, placées à 180 degrés l’une de l’autre, dans la partie basse de la colonne. L’une porte l’inscription  « Bataille de Torfou / 19 septembre 1793 » et l’autre les noms des cinq généraux Vendéens présents : « D’Elbée, Bonchamps, Charrette, Lescure, Royrand ».

Le site de la Grossière, le calvaire et l’autel.

   La même association avait réalisé précédemment un monument plus spectaculaire, à l’époque de la présidence de son fondateur le docteur Charles Coubard : un calvaire et un autel de pierre au lieu dit la Grossière. C’est en effet, à cet emplacement que se situe le point triple où les départements de la Vendée, du Maine-et-Loire et de la Loire-Atlantique se joignent. Et c’était déjà le cas avant la Révolution avec les provinces du Poitou, de l’Anjou et de la Bretagne. C’est la raison pour laquelle cette croix a été baptisée : « calvaire des trois provinces ». Sur la croix, on peut lire sous un double cœur vendéen « J’ai combattu le bon combat / j’ai gardé la foi ». Plus bas, sur la base de l’autel, une plaque porte l’inscription suivante, sous le Sacré-Cœur : « Ici se joignent / les trois provinces / Anjou Bretagne Poitou / d’où a pris naissance en 1793 / la Vendée Militaire / SV 1959 ».

   Ce calvaire a été inauguré le Dimanche 27 septembre 1959 avec environ 2000 personnes et la présence des Maires et Curés des communes de Torfou, Boussay et La Bruffière.

Le calvaire des Trois provinces peu après 1960.                                                                      L'état actuel du calvaire.

   Le jeudi 14 septembre 2017, en présence des élus municipaux et communautaires, Paul Gilbert Président de l'Association "Connaissance de Torfou" a inauguré un circuit de randonnée de 9 km concernant la bataille de Torfou. Ce circuit a été ouvert au public deux jours plus tard, pour les Journées du Patrimoine 2017. Les premiers adhérents de cette association : Daniel Bretaudeau, Constant Coulonnier, Jean-Pierre Brochard, Gaby Fonteneau et Pascal Le Pourlier travaillaient sur ce projet depuis trois ans et ont pu le mettre en place grâce à l’appui et à l'aide financière des collectivités locales. Le parcours comprend 10 étapes avec pour chacune un panneau explicatif, bien illustré et très didactique. Des aspects ludiques séduiront sûrement les plus jeunes. Nous avons découvert ces panneaux et les avons appréciés lors de notre récente visite sur les lieux. Il serait évidemment souhaitable que des initiatives similaires permettent d'élargir le circuit sur la commune de Boussay en Loire-Atlantique, partie prenante dans la même bataille.

 Le panneau N°2 du circuit de Torfou (illustré par Thomas Bonis).


  Chantonnay le 13 octobre 2017


LA PRISE DE FONTENAY  (25 mai 1793)

 

 Fontenay : la caserne du XVIIIème siècle.

    Avant la Révolution, Fontenay-le-Comte n’était pas « une ville de garnison », selon le sens que l’on a donné à cette expression au XIXème siècle. Les troupes étaient, à cette époque, principalement disposées de façon à faire face aux attaques étrangères pouvant venir des côtes. Les régiments d’infanterie de ligne (60ème, 77ème, 80ème) étaient basés à Rochefort, Saint Jean d’Angély et dans les îles de Rhé ou d’Oléron, sous les ordres du général de Verteuil. Toutefois, sous le règne de Louis XV une caserne avait été construite dans la capitale du Bas-Poitou. La première pierre en avait été posée le 1er août 1752 ; et les travaux, conformément aux plans de l’ingénieur Parent de Curzon, avaient duré 15 ans. Les hussards du Royal-Bourgogne en 1768 et les hussards de Bercheny en 1777 y avaient tenu garnison. A partir de 1793, cette caserne va héberger les différentes armées que la République va envoyer à Fontenay-le-Peuple. Elle recevra ultérieurement le nom du général Belliard, officier fontenaisien et la rue où elle se situe le nom de Kléber.

 Fontenay-le-Comte : Gravure de l’Album Vendéen.

   Dans l’ouvrage « l’Album Vendéen » en 1856, pour illustrer la bataille de Fontenay, le dessinateur Thomas Drake a choisi, non pas de représenter la bataille elle-même, mais d’évoquer la ville par une vue du vieux Fontenay et en particulier du fleuve « la Vendée » à l'ancien pont des sardines. On remarquera qu’il s’est dessiné lui-même en train de signer son œuvre sur un mur près du château, à droite de la gravure. Cette lithogravure nous présente par ailleurs une intéressante vue de la ville au milieu du XIXème siècle à peu près identique à celle que vont trouver les Armées Vendéennes.

   C’est le lendemain de la prise de Thouars (5 mai 1793) que les généraux vendéens lors d’une réunion d’état-major, après avoir hésité sur le parti à prendre (Saumur, Angers ou Tours) décident au préalable d’aller libérer le sud vendéen de l’emprise de l’armée républicaine à Fontenay-le-Comte. Cette décision n’est pas vraiment approuvée par de nombreux soldats qui préfèrent rentrer chez eux pour se livrer aux travaux des champs.

   Quand ils se mettent finalement en route, le 9 mai, il n’y a plus que 15000 hommes (sur les 25000 présents à Thouars).

 Le bourg et la vieille église de La Chataigneraie,  Montbail 1843.      Jacques Cathelineau, tableau A-Louis Giraudet-Trioson 1816.

   Pour s’emparer de Fontenay, en arrivant par le Nord, il fallait au préalable se rendre maître de La Châtaigneraie. Or, le général Alexis Chalbos, installé dans cette ville depuis le 6 avril, y disposait de 3000 hommes environ et de 3 canons.

   Les Armées Vendéennes, sous les ordres du généralissime Jacques Cathelineau, arrivent aux abords de La Châtaigneraie le 13 mai 1793 au matin en trois colonnes différentes. La première vient par Moncoutant et Chantemerle. Chalbos la rencontre à l’Est du bourg près du Breuil-Barret vers 10 heures. La seconde colonne arrive par la Forêt-sur-Sèvre et Saint Pierre-du-Chemin et rejoint immédiatement le combat. En voyant l’arrivée de la troisième par Réaumur, Cheffois et la route de Mouilleron, Chalbos a compris qu’il avait perdu. Après deux heures de combat il bat en retraite précipitamment vers Fontenay en laissant peu de pertes humaines mais en abandonnant ses canons, ses caissons d’artillerie et des fusils. Les Vendéens rentrent donc victorieusement dans le bourg de La Châtaigneraie.

 L’ancienne mairie, 32 rue du commerce, vers 1905.

   Leur première tâche est de délivrer tous leurs compatriotes emprisonnés par les autorités républicaines. La prison se situe alors dans l’ancien Baillage Royal utilisé par le District, rue du Palais (actuel N° 32 rue du Commerce). Ce sont les caves, datant du XIVème siècle qui servent de cachots. Le bâtiment a été réaménagé par la suite en 1897 pour servir de Mairie; mais les caves ont été conservées et existent encore aujourd’hui. En poursuivant leur visite de la ville, les Vendéens trouvent par hasard la guillotine dans la cour d’une auberge et constatent que le couteau est encore tâché du sang de la dernière victime.

   Une grande fureur s’élève dans les groupes de paysans et un désir de vengeance se manifeste. Ils commencent par vouloir massacrer leurs prisonniers ainsi que les patriotes de la ville. Leurs chefs, en particulier Henri de La Rochejaquelein, veillent à les en dissuader en leur rappelant qu’on ne peut incarner La Juste Cause en rendant le mal pour le mal et en se vengeant. Les paysans s’exécutent avec mauvaise grâce. L’abbé Billaud leur prête une formule qui résume sans doute bien l’état d’esprit du moment: « Nos Messieurs veulent faire la guerre à leur manière, qu’ils la fassent donc tout seuls ! ».

    En compensation, ils vont piller les maisons de tous les patriotes, de ceux dénoncés ou seulement soupçonnés de l’être. Puis ils s’occupent à vider méthodiquement les caves du bourg .Le 15 mai ils quittent La Châtaigneraie ; mais ils ne sont déjà plus que 7000 à se diriger vers Vouvant où ils vont bivouaquer ce soir là. Il aurait sans doute été prudent de remettre la bataille à une date ultérieure ; mais Nicolas Stofflet s’y oppose fermement et fait prévaloir son avis.

L’Église de Vouvant, vers 1875, avant les restaurations. - L’historien Pierre Gréau à droite, avec des randonneurs devant la plaque .

  Le soir à Vouvant les paysans recommencent encore à vider les caves des patriotes à commencer par celle du curé constitutionnel Guy-André Pineau. Ce dernier s’en plaindra plus tard au comité en détaillant ce qu’il a ainsi perdu : « 18 bouteilles de vin muscat, 160 litres de vin d’Anjou, 30 litres de vin blanc de Bordeaux, 50 litres de vin rouge de Bordeaux,  sans compter les barriques de vin de pays ». On peut quand même constater, au passage, que le curé jureur n’avait peut-être pas de paroissiens mais qu’il avait veillé à avoir une cave bien fournie. Le lendemain matin, 16 mai, les Vendéens assistent à la messe dite par un prêtre réfractaire dans l’église Notre-Dame de l’Assomption de Vouvant puis ils se dirigent vers Fontenay.

   En 2004, l’association Le Souvenir Vendéen présidée par Jehan de Dreuzy fera poser une plaque sur le mur de l’église indiquant : « Le 16 et le 25 mai 1793 / l’armée Vendéenne / en marche sur Fontenay /passa à Vouvant / Souvenir Vendéen 2004 » (le « passa » peut apparaître comme un doux euphémisme !).

   Sont-ils bien tous en état de combattre ? En tous cas, ils engagent le combat vers 14 heures dans la plaine avant Fontenay, paysage qui d’emblée ne leur convient pas. Arrivés à la ferme des Granges, ils sont face aux soldats de Chalbos qui aligne un effectif de 9000 hommes. Après deux heures de canonnade, la cavalerie républicaine charge, rompt les lignes vendéennes et les met en fuite. Le général d’Elbée est blessé et ses soldats découragés abandonnent le combat puis s’enfuient. Les Républicains poursuivent les fuyards jusqu’à Baguenard à la lisière de la forêt de Mervent. Au soir du 16 mai 1793, le bilan de cet échec est assez lourd : les Vendéens laissent sur le terrain environ 600 morts, 80 prisonniers et une trentaine de canons (il ne leur reste plus que 6 pièces d’artillerie et peu de poudre). Les Bleus, eux, n’ont perdu que 10 hommes. La perte psychologiquement la plus dure pour les Blancs est celle du canon baptisé Marie-Jeanne. Il s’agit d’une pièce d’artillerie portant les armoiries de Richelieu parfaitement reconnaissable au son, qui a été conquise à Coron et est devenue le porte-bonheur des Vendéens et le signe de victoire.

   Les Républicains qui vivaient dans la crainte de la prise de la ville se réjouissent parce qu’ils espèrent que cet échec va marquer la fin de l’insurrection vendéenne. Le député Goupilleau écrit « L’ennemi est abattu, j’ai peine à croire qu’il ose jamais se représenter devant nous ». Les administrateurs déclarent «  cette affaire a sauvé le département ».

Le bourg de Pissotte (l’église date du XIXème).

   Les Vendéens sont rentrés chez eux dans le haut bocage et les Mauges comme chaque fois après un événement important. Mais cette fois-ci, ils sont pleins d’amertume et de regrets pour cet échec. Après réflexion, ils considèrent qu’ils ne méritaient pas la victoire. Dieu a puni ses soldats pour leur conduite indigne, la colère, la vengeance, les exactions, les pillages et les beuveries. Le désir de se racheter et de rétablir la situation, de libérer Marie-Jeanne devient prédominant. Par cet effet spontané, qui est une des spécificités de cette insurrection, les soldats reviennent de partout pour se regrouper et reformer les armées. Dès le 21 mai, 30000 hommes sont présents, l’armée n’a jamais été aussi nombreuse et elle marche en direction de Fontenay pour prendre sa revanche.

   Pendant ce temps là, Chalbos, en chassant 300 vendéens, s’était réinstallé à La Châtaigneraie. Quand il apprend le 24 mai que toutes les forces Vendéennes marchent vers lui, il abandonne précipitamment cette commune, de peur que la retraite lui soit coupée et se replie pour défendre Fontenay .Ses soldats partent à 22 heures, marchent durant la nuit et arrivent le lendemain matin à 5 heures. Les autorités de cette dernière ville, prévenues au cours d’un banquet, restent d’abord incrédules, puis la nouvelle se communique rapidement et la panique gagne l’ensemble de la population.

 La rue du Roc à Pissotte (ancienne route).

   Les Armées Vendéennes ont bivouaqué aux alentours de Vouvant et le samedi 25 mai au matin, elles se mettent en route vers Fontenay en passant par Pissotte. A cet endroit, elles ne sont plus éloignées que d’une lieue (4 kilomètres). Les paysans commencent à réciter leur chapelet. La route actuelle de La Châtaigneraie à Fontenay (RD 138 ter) a été construite au XIXème siècle un peu plus à l’Est que la précédente. Cette dernière a été ensuite convertie en chemin vicinal et a finalement été supprimée lors du remembrement au XXème siècle. Il en existe tout de même quelques vestiges. Si on veut mettre ses pas dans ceux des Vendéens de 1793, il faut aller rechercher les restes de cette ancienne route dans la rue du Roc puis la rue des Nomades à la sortie de Pissotte.

Le site de la bataille vue des Moriennes, Pissotte se situe au fond à 4 km.

   Pour la défense de Fontenay, Chalbos dispose désormais de 6000 hommes environ. Déjà l’administration a décidé que : « tous les hommes de 18 à 60 ans présents dans la ville doivent se mettre à la disposition du général afin de participer à la défense de la ville ». Tous les hommes en âge de porter un fusil et à qui on a pu en fournir un, sont donc là. Il s’agit toutefois d’un apport plus spectateur que véritablement acteur de la bataille et qui en outre est susceptible d’aggraver un mouvement de panique. Le général a eu le temps de mettre ses troupes en ordre de bataille, en éventail au Nord de la ville. Au centre, la troupe principale est installée sur le plateau des Moriennes, près de la redoute et devant le Portault (à peu près à l’emplacement du château d’eau actuel). Un autre corps d’armée est placé à l’Ouest derrière le lieu dit Les Petites Gourfailles). Un troisième groupe est disposé plus à l’Est, de l’autre côté de la route de la Châtaigneraie, à proximité du fleuve La Vendée. Enfin une quatrième troupe attend tout à l’est de la ville près de la route de Niort et va avoir peu à combattre (Cf. plan de la bataille ci-dessous).

   La photo ci-dessus nous montre le site de la bataille tel que le voient les Républicains sur le plateau des Moriennes. Ils voient arriver vers eux en face et à découvert les soldats de Cathelineau, car Pissotte est distant d’un peu moins de 4 kilomètres.

 Plan de la bataille de Fontenay.

   Pour couvrir un plus large terrain d’action, les armées Vendéennes se séparent en trois colonnes différentes, à partir de Pissotte. Au centre, Jacques Cathelineau s’avance en tête des soldats de sa colonne. Il a proposé à ses hommes qui récitaient leur chapelet d’entonner tous ensemble le « Vexillia Regis ». Il tient à la main la belle croix en argent ciselé qu’il portait autrefois aux pèlerinages de Belle-Fontaine en Anjou. (Elle se trouve aujourd’hui dans la chapelle des Quatre-Barbes à Chanzeaux). Derrière lui, vient l’armée de d’Elbée ; et La Rochejaquelein dirige l’arrière garde. A l’Est se trouve la colonne de Bonchamp près de La Vendée. L’armée de Stofflet le suit. La troisième colonne à l’Ouest, commandée par Lescure, est partie vers Sérigné pour rattraper la route qui, de cette ville, va directement à Fontenay. Il avait un peu plus de chemin à parcourir, mais comme il était parti avant les autres, il va affronter l’ennemi en premier, vers 13 heures environ.

Le site de la Bataille pour l’armée de Lescure.

   En regardant la photo ci-dessus, nous sommes dans la position des soldats de Lescure en 1793. Le paysage de plaine, totalement à découvert, est à peu près identique à celui du XVIIIème siècle si on retire toutefois le château d’eau à gauche (« les Moriennes »), l’usine et l’antenne au centre (« la croix du camp »). On remarque la route venant de Sérigné tout à gauche de la photo et on la revoit ensuite au centre dans la direction de la flèche de l’église Notre-Dame.

   Les Vendéens ont à ce moment là un vrai problème difficilement surmontable, ils n’ont pratiquement plus d’artillerie (3 canons seulement), peu de munitions et encore moins de poudre. A ceux qui l’ont fait remarquer au général de Marigny, il a répondu : « en face, ils en ont, il suffit d’aller leur prendre ».

Louis-Marie de Salgues marquis de Lescure, Tableau de Robert-Jacques Faust-Lefèvre, 1818.            Détail du tableau. »

   Les Vendéens n’aiment pas du tout ce terrain de plaine entièrement à découvert, ils hésitent et avancent lentement. Lescure prend alors la tête de la colonne, à trente pas en avant. Il s’arrête et crie par provocation « Vive le Roy ». Une batterie de six pièces de canons fait feu sur lui mais sans l’atteindre. Il s’écrie alors « Mes amis, vous voyez bien que les Bleus ne savent pas tirer ».

   Arrivés à proximité des Bleus, au lieu dit « la Croix du camp », sous le feu des canons, les soldats de Lescure se mettent à genoux au pied d’un calvaire et se plongent en prières. Un de leurs chefs, M. de Beaugé, veut les entrainer, leur montrer le danger encouru et la bataille qui attend. Lescure qui le voit lui crie : « laissez les prier, ils se battront mieux après ».

   Cette scène lors de la bataille de Fontenay est exactement celle que le peintre a fait figurer en arrière plan sur le portait de Lescure (photo ci-dessus). Bien sûr, le paysage montagneux qu’il y a représenté est seulement issu de l’imagination d’un artiste parisien, tout comme le calvaire très haut et le piédestal majestueux. Ce détail du tableau a par ailleurs été utilisé comme logo par l’association « Vendée Militaire ».

 Ancien cadastre du secteur.

   Ce plan regroupé, issu des éléments de l’ancien cadastre de Fontenay dit Napoléonien (1818), nous montre la position exacte de ce petit calvaire de mission du XVIIIème siècle, au lieu dit « La Croix du camp ». Ses vestiges ont aujourd’hui totalement disparu. On peut espérer qu’une association de la Mémoire Vendéenne pourra en reconstruire un prochainement.

   Il s’agit tout de même d’un événement non anodin d’une bataille connue. On peut voir sur la photo ci-dessous le paysage actuel et deviner l’ancien emplacement exact au carrefour de la route de Sérigné (actuelle rue du général Leclerc) et de la rue baptisée si opportunément « rue Louis-Marie de Lescure » (à gauche sur la photo).

Emplacement de la Croix du Camp.

   Pour se protéger des dégâts causés par les tirs d’artillerie auxquels ils ne peuvent plus guère répliquer, les Vendéens ont mis au point un stratagème. Au moment où les artilleurs allument la mèche, ils se couchent à terre. Quand le coup est parti et qu’on recharge le canon, ils disposent d’un court délai pour progresser très rapidement en toute impunité.

   En ce début d’après midi, il fait chaud, les Vendéens ôtent leurs paletots pour foncer sur l’ennemi. Assez rapidement la redoute des Moriennes est enfoncée, mais les chasseurs de la Gironde commandés par le général Dayat et les volontaires de Toulouse et de l’Hérault sous les ordres directs de Chalbos résistent toujours aux Vendéens six fois supérieurs en nombre. La cavalerie, appelée à la rescousse, refuse d’opérer une charge, sans doute parce que les positions sont déjà trop compactes. Seuls 20 cavaliers essaient une percée et échouent ; les autres partent en direction de Niort. Les Bleus commencent à fléchir.

Vue générale de Longèves vers 1910.

   C’est à ce moment précis qu’arrive sur le champ de bataille l’Armée de Royrand ou Armée du Centre, regroupant 4000 hommes environ, commandée par de Cumont et de Verteuil. Ils avaient beaucoup moins de distance à parcourir que les Angevins mais ils s’étaient mis en route beaucoup plus tard, le 24 mai à partir de Chantonnay. Ils arrivent maintenant, après être passés par Mouilleron-en-Pareds, L’Hermenault et avoir traversé le bourg de Longèves. La plupart des historiens n’accordent pas de rôle à l’Armée du Centre, estimant qu’elle est arrivée en retard. Amédée de Béjarry leur répond dans ses « Souvenirs Vendéens » en citant le récit de Louis-Dominique Ussault :

   « Nous arrivâmes au pas de course….Déjà les républicains commençaient à rétrograder. Notre arrivée, quoi qu’on en ait dit, les consterna ; à notre vue la déroute fut complète.….Aucun historien ne parle des services que notre division rendit à cette affaire. Cependant, je n’ai jamais douté que notre arrivée par la plaine n’ait produit sur Chalbos un grand effet. »

   La bataille a duré à peine une heure et les troupes républicaines se replient vers Niort ou sont totalement en fuite. Seuls ses canons installés en ville dans les ruines du vieux château médiéval tonnent encore vers le nord de la ville en direction de l’armée de Bonchamps. Leurs effets sont plus psychologiques que réels sur le déroulement de la bataille ; à peine réussissent-ils à couvrir un moment la déroute.

Les ruines du Vieux château actuellement.                               La Barrière de l’Octroi sur le Route de Luçon en 1903.

   L’Armée du Centre, suivant la route de Longèves, entre logiquement à Fontenay par la barrière de l’octroi dite de Nantes, située sur la route de Luçon. Cette barrière, installée à peu près au niveau du vieil hôpital, et que l’on retrouve sur la carte postale au début du XXème siècle, n’existe évidemment plus aujourd’hui. L’armée de Cathelineau pénètre en ville par la barrière dite de Saumur et les autres armées par toutes les barrières situées au Nord de la cité.

   En faisant le bilan de la bataille, on se rend compte que les pertes humaines ne sont pas considérables par rapport à d’autres affrontements. Les Vendéens, qui ont pourtant combattu dans des conditions difficiles, ont peu de morts. Les Républicains ont perdu moins d’une centaine de soldats dans la bataille mais ils laissent 3000 prisonniers à leurs adversaires. Ils ont en outre dû abandonner une grande partie de leur artillerie. Les Vendéens récupèrent 40 canons environ mais ne trouvent pas celui qu’ils cherchent le plus, leur mascotte Marie-Jeanne. Ils se rendent alors compte que les Républicains ont tenu à l’emmener dans leur fuite, sans doute pour les priver d’une partie de leur victoire.

Canon similaire à Marie-Jeanne conservé au musée de l’Armée à Paris.     L’ancien couvent dit de L’Union Chrétienne.

   Une trentaine d’entre eux, conduits par l’intrépide Forêt, partent prestement par la route de Niort à la poursuite des Bleus. En effet, cent écus avaient été promis à celui qui le premier mettrait la main sur le canon. Ils les rattrapent 3 kilomètres plus loin à Charzais, au lieu-dit Les Granges et réussissent à récupérer le fameux canon. L’affaire est considérée comme tellement importante que l’on connaît encore aujourd’hui les noms de ceux qui réussissent le coup de main. Louis Brochet les cite dans son ouvrage « La Vendée à travers les âges » : Picherit, Loyseau, Rochard, Delaunay (tous les quatre de Chanzeaux), Jacques Vendangeon (d’Uzernay) et Biot (de Mouchamps). Amédée de Béjarry précise, non sans une certaine dose de chauvinisme, que le premier « qui mit la main sur la fameuse Marie-Jeanne fut un soldat de l’Armée du Centre, qui s’appelait Riot, de Mouchamps » (en réalité Mathurin Biot). Enrubannée et décorée de fleurs par les dames, Marie-Jeanne va traverser toute la ville en cortège et sera même conduite jusqu’à l’intérieur de l’église Notre-Dame. Pendant ce temps, les cloches des églises de la ville, muettes depuis un certain temps, ne cessent de sonner à toute volée. Par la suite, ce célèbre canon aurait disparu dans la Loire devant Saint Florent-le-Vieil, mais le musée de l'Armée situé à l'Hôtel des Invalides à Paris en montre un exemplaire similaire (reproduit ci-dessus).

 Le bourg de Charzais près de Fontenay.

   Si la bataille proprement dite a duré peu de temps, beaucoup de fontenaisiens vont perdre la vie dans les escarmouches et la confusion de la déroute. Les administrateurs de la ville et les sympathisants, pris de panique, se sauvent au plus vite. Deux cavaliers vendéens, à peine armés, n’ont aucune peine à faire déposer leurs armes à un groupe de 20 volontaires. L’arrivée de la nuit met heureusement fin aux débordements.

   Au moment où il rentre en ville, le général de Bonchamps est blessé au bras et à la poitrine par un dénommé Staub, concierge de la Mairie. Celui-ci après avoir sollicité et obtenu la vie sauve du général vendéen, avait repris son fusil et lui avait tiré dessus. Ecarté des combats, Bonchamps partira en convalescente au château de Landebaudière à La Gaubretière le 29 mai.

   L’église Notre Dame de Fontenay (XV & XVIème). Le général Charles Melchior de Bonchamps tableau par Giraudet-Trioson en 1818.

   La principale préoccupation des Vendéens est de libérer en priorité, dès le samedi après midi 25 mai, les nombreux prisonniers enfermés à Fontenay. C’est Lescure et La Rochejaquelein qui vont se charger de cette tâche. En 1793, les prisons sont nombreuses à Fontenay et de triste réputation. Conformément aux principes de la Terreur on a commencé par entasser les prisonniers dans l’ancien couvent dit de l’Union Chrétienne sur le côté Nord de l’actuelle place Viète (Cf. gravure située plus haut). Puis, l’espace ne suffisant plus, on a utilisé les bâtiments de l’ancienne résidence du Gouverneur au XVIème siècle dits de La Sénéchaussée, situés quai de La Rochefoucauld. En dernier lieu, on a occupé en plus une maison au N° 1 la rue du Puits-de-la-Vau, qui était pratique parce qu’elle était située en face du siège du tribunal révolutionnaire (N° 4). Des maisons particulières avaient même été réquisitionnées pour compléter le dispositif. On mourrait beaucoup dans ces prisons : de maladie, d’épidémie et des ravages de la guillotine. Un ancêtre de l’auteur, capturé, est d’ailleurs mort d’épuisement dans les prisons de Fontenay à l’époque de la Terreur.

   Les Vendéens libèrent ainsi 240 soldats blancs (dont ceux faits prisonniers le 16 mai), plusieurs prêtres réfractaires, notamment ceux du Poiré-sur-Vie, Belleville, St Philbert-de-Bouaine, Beaulieu-sur-Mareuil, de nombreux civils considérés comme suspects, ainsi que La Marsonnière et Pierre Bibard de la Tessoualle. Certains de ces malheureux devaient être fusillés ou guillotinés le lendemain même. Trois guillotines fonctionnaient en permanence à Fontenay. Tombées aux mains des Vendéens, les éléments en bois, que l’on ne pouvait qualifier de « bois de Justice » à l’époque de cette tyrannie sanguinaire, sont brûlés dans un feu de joie. En revanche personne ne peut mettre la main sur les couperets. De peur de la réaction de Vendéens et de représailles, comme à La Châtaigneraie, il est probable que les Bleus les aient emportés dans leur fuite.

L’Hôtel de la Sénéchaussée (XVI & XVIIème).                                          La maison de la rue du puits de la Vau.

   Dans leur visite de la ville les Vendéens ont trouvé la caisse du Receveur. Elle se compose de deux caisses remplies du papier monnaie de l’époque : les assignats. Avant que les officiers n’arrivent, la première caisse est entièrement pillée par les soldats. Mais, image du mépris qu’avait le milieu rural pour le papier monnaie, nul ne songe à se l’approprier à titre personnel. Ils les déchirent, s’amusent à en faire des papillotes et finalement les font brûler. Les officiers arrivent à temps pour sauver la deuxième caisse qui contient 900 000 Francs environ toujours en assignats. Comme ils veulent s’en servir pour payer les subsistances nécessaires à l’armée, ils indiquent à la main sur les billets de la République : « Bon au nom du Roi ».

   Les paysans, qui pour un certain nombre ne savent pas lire, vont ensuite s’attaquer aux divers papiers et archives des administrations pour les faire brûler, croyant qu’il s’agit des procès des suspects. Des doubles des registres paroissiaux, déposés autrefois au Présidial de Fontenay, vont ainsi disparaître. Les autres, emportés par les fuyards, ne connaitront pas un meilleur sort, perdus, abîmés par les intempéries ou pourris. Si on ajoute que les originaux, conservés dans les presbytères, ont été souvent brûlés par les colonnes infernales. On comprend mieux pourquoi l’état-civil ancien a de grosses lacunes.

Un assignat de 50 livres de cette époque.

   Le lendemain matin dimanche 27 mai 1793, les Vendéens assistent tous à une messe solennelle chantée dans l’église Notre-Dame par un prêtre réfractaire. Elle est suivie d’un Te Deum de remerciements pour la victoire. Pour la circonstance, on a redonné à l’église son aspect à l’époque de l’Ancien Régime.

 Intérieur de l’église Notre Dame vers 1905.

   Les généraux vendéens ont été reçus dans les hôtels particuliers de la ville. Certains sont les hôtes de Madame de Grimoüard de Saint Laurent. La maison de Grimoüard, bel exemple de demeure aristocratique fontenaisienne du XVIIIème, porte sur sa façade la date de 1741 et est située actuellement au N°11 de la rue Pierre Brissot. C’est à cet endroit, dans la grande salle du premier étage, du côté du jardin, que les chefs vont se réunir en conseil de guerre.

   Cette pièce servira au XIXème siècle de salle du Conseil Municipal (de 1824 à 1895) et appartient toujours à la Ville de Fontenay. C’est au cours de cette réunion qu’est prise la décision de former un Conseil Supérieur de Châtillon de 25 membres, chargé d’administrer le territoire de la Vendée Militaire au nom du Roy. Au cours de ce même conseil, il a également été décidé que Stofflet serait nommé commandant du poste de Fontenay (fonction qu’il n’aura guère l’occasion d’exercer).

Façade de l’Hôtel de Grimoüard, 11 rue Pierre Brissot.                            La grande salle de l’Hôtel de Grimoüard.

   Globalement les soldats vendéens, contrôlés par leurs chefs, n’ont pas commis beaucoup d’exactions, de pillages ou de beuveries comme ils avaient pu le faire à La Châtaigneraie. Ils commencent à envisager de retrouver leurs chaumières et le travail de la terre. Il reste un problème grave à régler : celui des 3000 prisonniers. Tout au début, certains avaient souhaité les exécuter. Pour les protéger, plusieurs personnes n’avaient pas hésité à protester énergiquement. Par exemple, Madame de Grimoüard avait affirmé « Vous me tuerez plutôt ». L’armée vendéenne n’avait en réalité que peu de choix car il lui était matériellement impossible de les tenir en captivité. Il fallait donc les tuer ou les libérer. La première solution étant contraire à leurs principes, ils se décident à les libérer après leur avoir fait jurer sur l’honneur de ne pas porter de nouveau les armes contre eux et après leur avoir rasé le crâne pour les reconnaître éventuellement. 500 seulement sont gardés en otages et envoyés à La Forêt-sur-Sèvre. Cette solution ne risquait pas de modifier la position des officiers républicains et un soldat qui désobéit aux ordres est passible du conseil de guerre. Alors les Vendéens les retrouveront plus tard de nouveau en face d’eux.

Le champ de Foire de Fontenay.

   Avant de partir, les Vendéens convoquent tous les habitants de Fontenay à venir sur la nouvelle place du marché pour une séance de prestation de serment à la Religion et à la Monarchie. Quelques-uns seulement s’y rendent, la plupart des autres préfèrent rester chez eux, peut-être par peur de représailles ultérieures au retour de Bleus.

   Les chefs et le gros des armées quittent Fontenay-le-Comte le mardi 28 mai 1793. Les derniers trainards ne partiront que le 30.

   Ainsi, la Prise de Fontenay va prendre place, dans l’Histoire des Guerres de Vendée, au rang des actions héroïques mais aussi des batailles inutiles, des territoires chèrement conquis et tout simplement abandonnés sans combat ensuite.

Chantonnay le 28 février 2017

Maurice BEDON


LA BATAILLE DE LUÇON  (14 août 1793)

   On a coutume d’évoquer La Bataille de Luçon mais, en réalité, il y a eu trois affrontements différents à cet endroit: le 28 juin 1793, le 30 juillet et le 14 août de la même année. C’est bien sûr du dernier, du plus important, celui du 14 août 1793 auquel nous avons l’intention de nous consacrer plus spécialement. Encore conviendrait-il mieux de parler de la bataille « pour » Luçon que de la bataille « de » Luçon puisqu’aucun des trois combats ne s’est déroulé dans cette ville mais dans des communes situées nettement plus en avant.

   Dès le début de la guerre, la prise de Luçon faisait partie des objectifs des chefs de l’Armée Vendéenne. Bien sûr, cette ville était située en dehors de la région insurgée mais elle avait l’avantage de posséder un port. Oh ! un tout petit port commercial, puisqu’il était tout juste relié à la mer par un simple canal qu’il aurait été facile de couper. Mais une prise de Luçon aurait fait sauter un verrou qui empêchait les Vendéens d’accéder à la mer. Ils auraient pu ainsi occuper la côte, utiliser le port de l’Aiguillon-sur-Mer (déjà plus sérieux), mais aussi attaquer le port des Sables d’Olonne en le prenant à revers. Un tel accès à la mer a toujours cruellement fait défaut aux Armées Vendéennes.

Le port de Luçon vers 1900 (aujourd’hui comblé).

   On considère généralement que l’affrontement du vendredi 28 juin 1793 constitue la première bataille de Luçon. A cette date, la plupart des armées vendéennes avaient déjà commencé le siège de la ville de Nantes (28 et 29 juin). L’Armée du Centre, commandée par Royrand et forte de 6 000 à 8 000 hommes, avait surtout pour objectif de fixer sur place les troupes républicaines (1 700 hommes environ) pour les empêcher de participer à la bataille de Nantes en surgissant sur les arrières de l'Armée de Charette aux Sorinières.

   Le regroupement ayant eu lieu à Chantonnay, Royrand arriva par Bessay et franchit le pont de Mainclaye vers 17 heures. Il divisa ensuite ses troupes en deux colonnes : la première à l'Ouest se dirigea par la route de Corpe vers les Magnils-Reignier et la seconde plus à l'Est par la route allant directement vers la ville épiscopale.

La première bataille de Luçon.

   La première colonne, à l’ouest, réussit sans trop de difficultés à faire plier les républicains commandés par le général Sandoz et ceux-ci se sauvèrent jusqu'à Champagné-les-Marais. Toutefois, elle ne put exploiter son avantage et pénétrer dans Luçon car elle fut prise à revers par un bataillon arrivant par Port-La-Claye. L’autre colonne, celle de l’Est, se heurta à une résistance farouche commandée par le général Boissier. Les Vendéens, perdant tout espoir de percer facilement, ne purent qu’abandonner. Ils avaient quand même rempli une partie de leur mission, retenir les troupes républicaines sur place. Ces dernières viendront les poursuivre au-delà du Pont de Mainclaye jusqu’au Nord du bourg de Bessay.

Le château de Bessay gravure du comte de Montbail en 1843.

   Le deuxième affrontement eût lieu en juillet 1793. Le 29 les Armées Vendéennes quittèrent les Herbiers et se regroupèrent à Chantonnay pour s’avancer vers Sainte Hermine. Une patrouille de gendarmes aperçut un groupe de 150 cavaliers d’avant-garde sur l’ancien cours royal Nantes-Bordeaux vers Sainte Gemme-la-plaine. Le lendemain vers 11 heures, 25 hussards postés autour du château de Bessay abandonnèrent leur poste pour aller prévenir le général Tuncq à Luçon. Celui-ci plaça aussitôt son armée, composée de 2 400 hommes environ, en position vers la forêt de Sainte Gemme. Ce même 30 juillet 1793, les Vendéens, commandés par d’Elbée, Lescure, La Rochejaquelein, Talmont et Royrand, après avoir pris Bessay et franchi le pont de Mainclaye, attaquèrent sur deux colonnes dans la même plaine selon la même stratégie qu’au mois de Juin, mais un peu plus à l’Ouest. Les Républicains commandés par Lecomte et Sagot résistèrent et repoussèrent les assaillants. Après un combat particulièrement acharné au corps à corps, la première puis la seconde colonne furent contraintes de se replier et de repasser le pont de Mainclaye. La cavalerie du prince de Talmont protégea leur retraite. Force était de constater que dans un paysage de plaine où ils se sentaient mal à l'aise, les Vendéens n’avaient encore pas pu s’accrocher au terrain.

 Carte postale représentant Luçon vers 1898.                              Maurice d’Elbée d’après le tableau de J-B Paulin-Guérin (1827). 

   Désireux de ne pas rester sur cet échec, les Armées Vendéennes sont de nouveau hâtivement rassemblées à Sainte Hermine le 14 août 1793. Elles totalisent aux environs de 40 000 hommes. A l’exception de Bonchamps, retenu par une blessure, d’Elbée, La Rochejaquelein, Lescure, Stofflet, Marigny, Talmont et Royrand sont là. Charrette a également décidé de participer à la prise de Luçon. Aussi, ils tiennent un conseil de guerre sous la présidence du généralissime d’Elbée. Celui-ci vient d’être élu à ce poste le 19 juillet, quelques jours après que Jacques Cathelineau soit mort de ses blessures le 14 juillet. Ils se sont peut être réunis au château de Sainte Hermine (propriété de Louis-Constantin Jousseaume marquis de la Brétesche). Le château, généralement inhabité à cette époque, avait d’ailleurs déjà été utilisé par l’état major des gardes nationaux républicains. D’autres auteurs, au nombre desquels on compte l’abbé Billaud, pensent que cette réunion se serait tenue dans une auberge du bourg de Sainte Hermine, l’auberge du Bon Pasteur.

   Le château de Sainte Hermine construit en 1634.

   En tous cas, suivant en cela une proposition de Lescure, on décide de faire une attaque par groupes successifs dite en échelon. Malheureusement, cette stratégie militaire exige, pour être réussie, d’être exécutée avec précision, par des armées très bien organisées et bénéficiant surtout d’une parfaite coordination entre elles. Comme toutes ces qualités militaires n’étaient pas vraiment la spécialité des Vendéens et que leurs chefs ne se faisaient pas confiance, le résultat n’était pas acquis d’avance. D’autant plus que les Blancs vont se rendre compte tardivement qu’ils ne sont plus là en région insurgée, que la population ne leur est donc pas favorable et que le paysage de la plaine n’a rien à voir avec celui du bocage dont ils savent si bien tirer parti. Vont-ils dans ces conditions éviter de refaire les mêmes erreurs ?

Le bourg de St Gemme-la-Plaine vers 1900 (en 1793 la flèche du clocher n’existait pas, et elle s’est écroulée en 1931).

   De son côté le général Tuncq, disposant de 8 000 hommes environ, en laisse 2 000 en réserve dans la ville de Luçon. Il a la possibilité d’être renseigné sur les mouvements de l’adversaire par quelques soldats installés dans le clocher de la cathédrale. Il place donc 6 000 hommes à peu près aux mêmes emplacements que lors des deux attaques précédentes ; c'est-à-dire sur une ligne allant du bourg de Corpe à celui de Sainte Gemme-la-plaine en passant par les fermes de Cargois, Bellevue, le Mureau et la forêt de Sainte Gemme. Et c’est à cet endroit qu’il cache une grande partie de son artillerie.

Plan au début de la bataille de Luçon, le 14 aout 1793.

   François-Athanase Charrette de la Contrie, soit par bravade, soit pour démontrer la valeur combative de ses maraichins par rapport aux bocains, s’est offert d’être le premier à affronter l’ennemi. Pour ce faire, il doit donc emprunter l’itinéraire le plus court, celui le plus à l’Est, pour se rendre au champ de bataille. En partant de Sainte Hermine, il traverse la paroisse contigüe de Saint Hermand (aujourd’hui incluse dans le bourg de Sainte Hermine). Puis il oblique à droite vers le Sud et traverse le bourg du Simon-la-Vineuse avec 4 000 à 5 000 soldats environ.

Charrette d’après le tableau de J-Baptiste Paulin-Guérin (1827).      L’église du Simon lors d’un mariage en costumes du XVIIIème

   Par les chemins les plus directs, Charette se dirige vers la rivière la Smagne. Il débouche sur l’actuelle voie communale des Touches aux Mottes (C4) et passe ainsi devant le célèbre logis de Chaligny dans la commune de Sainte Pexine (demeure d'Henri-Gabriel Regon de Chaligny).

 Logis du Chaligny (XVIIème) vers 1900.

   Sur cette même voie, il arrive aussitôt après à la Smagne qu’il franchit sans difficulté à gué au lieu dit les Mottes. Au même emplacement, il y a aujourd’hui un pont sur la rivière, (construit au milieu du XIXème siècle) pour permettre le passage de la route de Bessay à Saint Jean-de-Beugné (D 88).

Le pont des Mottes (XIXème).

   Charrette traverse donc la rivière à gué dans ce lieu avec son armée, d’autant plus facilement que nous sommes au mois d’août et que le niveau de l’eau est bas. D’ailleurs, c’est une très belle journée d’été ; le soleil est éclatant et il fait très chaud. Il arrive ainsi vers midi au village des Mottes, situé à proximité immédiate. Il abandonne cette route pour aller dans la direction plein Sud en prenant très largement le chemin se dirigeant vers Saint Gemme-la-Plaine, en passant par les lieux-dits Encrevaire et Trompette. A partir des Mottes, il se trouve désormais en paysage de plaine, c'est-à-dire totalement à découvert et il peut deviner les troupes républicaines lui barrant la route environ trois kilomètres plus loin à Sainte Gemme-la-Plaine.

Le paysage de plaine que pouvaient voir les soldats de Charrette en se rendant à la bataille, à gauche les tours de la Chevallerie et à droite l’église de Ste Gemme.

   Par ce trajet, il est forcément arrivé ici le premier. Or, pour une bonne application de la stratégie prévue il aurait du attendre un peu, au moins l’arrivée des autres armées. Peut être a-t-il voulu faire seul la décision qui aurait entrainé la victoire ? En tous cas pour l’instant, il ne peut compter que sur l’aide des soldats de Lescure qui le suivent. Il fonce tout de même directement vers les troupes républicaines. La première rencontre a lieu sur les terres situées avant les jardins du logis de la Chevallerie (propriété de la famille Babin des Ardillers). C’est d’ailleurs dans cette demeure que le général républicain Bard avait installé son quartier général lors d’une précédente défense de Luçon.

La cour intérieure du logis de La Chevallerie (XVIIIème).

   Pendant ce temps, Royrand et l’Armée du Centre s’étaient dirigés un peu plus loin à l’Ouest de Sainte Hermine, puis ils étaient descendus vers le Sud en passant par le village de l’Aubonnière (commune de Sainte Pexine) et devant le logis du même nom (propriété d’Augustin Genay de Chail). Ils avaient ensuite emprunté un chemin longeant les bois du Chêne-Robin (actuelle rue de la Citadelle).

 L’ancien logis de l’Aubonnière (XVI & XVIIIème) en partie écroulé depuis 1900.

   Arrivés à la Smagne, ils avaient suivi le cours d'eau en direction de l’aval pendant 300 mètres environ et l’avaient traversé sans difficulté au gué dit des Rochettes. Peu après ce franchissement, le général, en attendant l’arrivée de d’Elbée avec le gros de l’armée, conformément au plan élaboré en commun, s’était efforcé de rester à cet endroit pour mettre ses troupes à peu près en ordre de bataille.

La passerelle au gué des Rochettes vers 1905.

   D’Elbée pour sa part était passé encore plus à l’Ouest, près du bourg de Bessay et avait emprunté le pont de Mainclaye pour traverser la rivière. Il s’était avancé pour essayer de mettre ses troupes en ligne. Il avait ainsi perdu énormément de temps car les vendéens n’ont jamais eu les caractéristiques d’une armée de métier et ne savaient pas bien se livrer à des exercices militaires. De plus, ils n’avaient pas l’habitude de combattre en ligne et rechignaient beaucoup à le faire. Leur chef devait d’ailleurs pester à ce moment là contre Charrette qui était allé beaucoup trop vite.

   La Rochejaquelein et Stofflet étaient également passés par le pont de Mainclaye et s’étaient postés à l’Ouest de d’Elbée vers le lieu-dit Rassouillet.

   Marigny quant à lui avait dépassé Bessay et poursuivi le chemin vers l’Ouest le long de la Smagne en cherchant un gué. Il n’en trouva pas de satisfaisant, s’égara dans les méandres de la rivière en direction du confluent avec le fleuve Le Lay. Il avait donc préféré rebrousser chemin et venir passer lui aussi par le pont de Mainclaye. Il arrivera finalement trop tard pour être en réellement efficace dans la bataille.

Lithogravure de Thomas Drake extraite de l’Album Vendéen (1856) et figurant la Bataille de Luçon.

   Charrette passe directement à l’attaque et rencontre les Républicains qui se sont portés en avant pour lui barrer la route. Il fait reculer cette première ligne mais pour l’instant les Républicains se contentent de le contenir. Les hommes de Charrette, en arrivant à la forêt, aperçoivent alors devant eux les canons cachés qui les mitraillent et derrière eux un grand vide au lieu des autres troupes Vendéennes attendues. Ils s’imaginent à ce moment là être trahis et arrêtent leur progression.

Cette carte postale représente un escadron de dragons se rendant à l’exercice en juin 1914. Le cliché a été pris à peu près au même endroit que la gravure précédente entre St Gemme et Luçon (donc pas à l’emplacement exact de la bataille). Mais elle représente bien le paysage de la plaine».

   Le général Tuncq pour sa part, se rend compte que d’Elbée n’est pas encore prêt ou qu’il hésite à s’engager à cet endroit peu favorable à son armée. Alors il fait donner toute son artillerie dans sa direction puis il envoie aussitôt après plusieurs bataillons. Les Vendéens de d’Elbée marquent le pas puis sont brusquement pris de panique et reculent. Les autres armées n’ont pas le temps de rentrer vraiment dans la bataille. La panique se généralise, tous n’ont plus qu’un objectif : refranchir le pont de Mainclaye et refluent vers cet endroit. C’est durant cette période que meurent le plus de soldats Vendéens fauchés par la mitraille de l’artillerie avancée jusque là. La Rochejaquelein s’interpose et tente vainement de contenir les troupes républicaines. Les combats font particulièrement rage vers le lieu dit Les Trois-Fontaines, puisque c’est à cet endroit qu’il faut impérativement arrêter les Bleus pour permettre l’évacuation par le pont.

 La croix des Trois Fontaines érigée par le Souvenir Vendéen en 1973.

   Dans ce mouvement de panique, les soldats de Lescure et Royrand qui sont en train de se replier en ordre sont à leur tour pris de panique. Charrette, voyant ce qui se passe, abandonne le terrain conquis et vient essayer de s’interposer entre les fuyards et les Républicains. Il réussit ainsi à préserver une partie des troupes et leur permet d’arriver au pont de Mainclaye. Malheureusement le passage est obstrué par une pièce de canon mal engagée et restée en travers. Les hommes se bousculent au lieu d’essayer de chercher un gué sur la Smagne, ce qui serait relativement possible en cette saison. La panique cause encore de nombreuses pertes humaines à cet endroit. 4 000 à 5 000 morts environ resteront sur le champ de bataille alors que les Bleus ne perdront que 100 à 200 soldats.

   Le bataillon républicain « le Vengeur » se fera une sinistre réputation en massacrant tous les blessés et en fusillant 700 prisonniers. Les Vendéens rescapés de cet affrontement le lui feront payer lors de la bataille du Camp des Roches, le 5 septembre 1793.

   Les morts regroupés seront enterrés dans de larges fosses communes creusées dans une prairie au Trois-Fontaines, le long de la route de Corpe à St Jean-de-Beugné. En 1970 l’association Le Souvenir Vendéen, dirigée par Jean Lauprêtre, fit construire un modeste calvaire de l’autre côté de la route à flanc de talus. Il est représenté sur le plan par une croix latine noire à son emplacement exact. Sur la plaque, installée sur le socle, on peut lire :

« Croix des Trois Fontaines / A la Mémoire / des 5000 Vendéens/ tombés devant Luçon/ le 14 aout 1793/ et enterrés pèle mêle sous le pré / face à cette Croix/ Souvenir Vendéen 1973/ ».

   Le pont est finalement dégagé et les Républicains n’ont sans doute pas ordre de franchir la Smagne, mais les Vendéens ne le savent pas et refluent toujours en désordre pour arriver au pont, le franchir et évacuer les lieux le plus vite possible.

 L’ancien pont de Mainclaye vers 1905.

   Le pont de Mainclaye que l’on peut voir sur cette carte postale de 1905 environ, datait du XVIIème siècle. C’est celui qui les Vendéens ont emprunté le 14 aout 1793. Malheureusement les violentes inondations d’octobre 1960 l’ont endommagé et ont montré que la forme de ses arches contrariait énormément l’écoulement des eaux. Il a donc été détruit et remplacé par un nouvel ouvrage, situé 150 mètres plus en aval. Les culées des arches de l’ancien pont ont été partiellement conservées sur les berges. Et en 1980 le Souvenir Vendéen, placé à cette date sous la présidence de notre ami Jean Lagniau (†), a fait poser à cet endroit une plaque de bronze portant l’inscription visible ci-dessous.

La plaque posée à l’ancien pont en 1980.

   Dans ses « Souvenirs Vendéens », Amédée de Béjarry, officier de Royrand dans l’Armée du Centre, nous raconte un incident survenu au début de cette retraite :

   « Une circonstance locale et fortuite aggrava la déroute. Un seul chemin conduisait du pont à Bessay ; il était étroit et encaissé. Au milieu était une fontaine. Les fuyards, dévorés par la soif, se précipitèrent pour boire. En s’amoncelant autour de l’eau, ils barrèrent le passage à une foule qui grossissait sans cesse. Au milieu de cette masse humaine, l’artillerie dégagée de La Rochejaquelein voulut se frayer un chemin, sans s’inquiéter des malheureux qu’elle écrasait. On se battit ; plusieurs artilleurs furent tués : il fallut employer la force pour rétablir l’ordre et, comme de coutume, les officiers se dévouèrent. On dégagea la fontaine ; on l’entoura d’hommes solides, avec l’ordre de croiser la baïonnette contre tout individu qui voudrait boire. (Un officier eut l’idée de dire que la fontaine avait été empoisonnée par les Républicains. La peur du poison fit plus que la consigne) ».

   Le récit est extrêmement crédible puisque nous sommes au mois d’août et qu’il fait très chaud. Cet incident, quand il était connu, était généralement positionné à la fontaine Saint Bris, lieu de pèlerinage célèbre à l’époque et situé dans la commune de Sainte Pexine. Pourtant, cela n’est guère vraisemblable car celle-ci se trouve à plus de quatre kilomètres au Nord du pont et n’est pas située près des endroits de passage des Armées Vendéennes. De plus, Amédée de Béjarry habitant le château de La Roche-Louherie à Saint Vincent-Fort-du-Lay (aujourd’hui Bournezeau), distant de huit kilomètres seulement, connaissait évidemment la grotte Saint Bris et ses pèlerinages. Il n’aurait pas manqué de la reconnaître et de l’indiquer tout à fait clairement.

La Fontaine Saint Bris vers 1905, l’arceau est daté de 1721, une chapelle y a été ajoutée en 1954.

   Pour rechercher l’emplacement de la fontaine, il faut tout d’abord tenir compte du fait que les souvenirs d’Amédée de Béjarry sont toujours précieux mais que ses indications de localisation sont un peu approximatives, comme nous avons déjà eu l’occasion de le constater ailleurs. N’oublions pas, à ce sujet, que l’auteur du livre n’est que le fils du témoin oculaire, qu’il écrit d’après des notes et 91 ans plus tard en 1884. De plus, les voiries ont beaucoup évolué depuis plus de deux siècles et même l’ancien cadastre de 1821 (dit napoléonien) raturé nous aide assez peu à retrouver les lieux anciens. En effet, les terrains entre Bessay et la Smagne comprenaient au XVIIIème et au début du XIXème siècle de nombreux fiefs de vignes qui ont été ensuite remembrés.

 La Fontaine du Chêne-Robin aujourd’hui.

   Au sortir du pont de Mainclaye, les Vendéens ont logiquement emprunté le premier chemin à droite allant non pas vers Bessay au Nord mais au contraire vers Sainte Hermine à l’Est (leur point de départ). Ils se sont donc dirigés, le plus rapidement possible, en diagonale, suivant un axe allant du Sud-Ouest au Nord-Est. De cette façon, Ils ont rejoint la route Bessay - Ste Gemme-la Plaine (actuelle D 88). Et sur celle-ci ils ont du forcément passer entre le bois du Chêne-Robin et la rivière La Smagne. D’autant plus que les soldats de l’Armée du Centre (ceux d’Amédée de Béjarry) retrouvaient à cet endroit le chemin de l’Aubonnière qu’ils avaient emprunté le matin pour se rendre à la bataille. Et à ce point précis, tout près de la route, se trouve encore aujourd’hui la fontaine du Chêne-Robin. Elle est représentée sur la carte par un point bleu à l’emplacement exact. Et il nous paraît évident que le récit ci-dessus devient possible à cet endroit. Ce dernier constituerait donc un Lieu de Mémoire lié aux Guerres de Vendée et ABSOLUMENT MECONNU.

   Lors du deuxième centenaire des Guerres de Vendée, le Conseil Général du département, présidé alors par Philippe de Villiers, prit la décision de subventionner les restaurations de certains monuments pour cette occasion. Nous avons d’ailleurs eu l’honneur de rapporter personnellement le projet initial lors de la séance du 19 juin 1992. L’ancienne église de Dissais venait d’être acquise en 1991 par la commune de Mareuil-sur-Lay-Dissais présidée par notre ancien collègue Gérard Priouzeau. Elle fut restaurée dans le cadre des projets départementaux et convertie en « musée des trois batailles de Luçon » en 1993. Celui-ci permet de bien comprendre et imaginer les trois batailles qui se sont déroulées dans la plaine voisine juste avant Luçon.

 L’ancienne église de Dissais en ruines vers 1900.

   Toutefois, il est dommage que les sites, lieux de Mémoire ou édifices ne fassent pas l’objet d’une signalisation routière comme nous en avons l’habitude dans le bocage. Même les cartes de positionnement de ceux-ci sur Internet ne sont pas toujours précises, aux Trois Fontaines il est inexact.

Chantonnay le 30 décembre 2016.



LA BATAILLE DE GRAVEREAU

 

   Dans les tous premiers jours du mois de mars 1793, l’existence de la loi du 24 février prévoyant la levée en masse de 300 000 hommes était déjà connue par la rumeur publique. La révolte grondait, tout d’abord dans les Mauges (dans l’actuel département du Maine et Loire). Le décret établissant les modalités d’application de cette loi parut le 8 mars. Il fixait notamment la date du tirage au sort des appelés, prévue le mardi 12 mars 1793.

   Le 11 mars le tocsin sonnait un peu partout au clocher des églises du bocage. Le climat était particulièrement tendu, tout le monde était prêt à en découdre. Les jeunes se rassemblaient, regroupaient des armes, allaient chercher des chefs, multipliaient les embuscades contre les gardes nationaux ou les simples provocations. Par exemple pendant la foire de l’Oie, le surlendemain 13 mars, ils venaient tous uriner sur le poste de garde républicain et réussissaient à faire prisonniers les quelques soldats. Dans les environs, ils parvinrent ainsi à convaincre Charles-Aimé de Royrand, ancien colonel de 70 ans habitant le logis de la Brunière, qui devint le commandant en chef et Louis-Célestin Sapinaud de Bois-Huguet, habitant le logis de la Verrie, qui fut désigné comme adjoint.

   Le premier « conseil de guerre » de ce groupe (qui deviendra plus tard l’armée du Centre) se tint dans une maison du bourg voisin de Saint Fulgent. Il décida, en prévision d’une attaque des Bleus, de « fermer » le cours royal Nantes-Bordeaux, seule voie d’accès nord-sud, en tenant le carrefour dit des Quatre-chemins de l’Oie et en fortifiant le Pont Charron sur la rivière le Grand Lay.

   Le 14 mars, au lendemain de la prise des Herbiers, les troupes vendéennes se regroupaient à l’Oie. Elles venaient bivouaquer à l’Herbergement-Ydreau dans l’enceinte fortifiée du vieux château féodal, construit aux XIIIème et XVème siècles par les familles de Châteaubriant et de la Trémoïlle.

Le château de l’Herbergement-Ydreau en 1900.

   Cet édifice avait appartenu à partir de 1590 à la famille Sapinaud seigneur de la Brethonnière. Et c’est le propre père du général Sapinaud de la Rairie qui l’avait vendu en 1767 à Daniel-François de la Douespe seigneur du Fougerais. Il s’agissait donc d’un ancien château familial, connu et stratégiquement bien placé à proximité du carrefour des Quatre-chemins de l’Oie. Ce sont les raisons pour lesquelles il deviendra par la suite camp retranché, quartier général de l’armée du Centre et arsenal. Dans les textes du XIXème siècle, il est indifféremment appelé « camp des Quatre-chemins », « château du Fougerais », « camp de l’Oie » et « l’Herbergement ».

L’Herbergement-Ydreau, façade sur la cour.

   La première carte postale a été réalisée par Lucien Amiaud éditeur à La Roche-sur-Yon au début de l’année 1900, sous le numéro 270. Elle nous montre les restes de la porte fortifiée du château en ruines depuis l’incendie par la colonne infernale du général Tuncq le16 juillet 1794. Depuis le début du XXème siècle la fenêtre dominant la porte et la partie supérieure de la tour de gauche se sont écroulées. La seconde carte est l’œuvre d’Eugène Poupin de Mortagne-sur-Sèvre. Elle porte le numéro 115 et date de 1901. Le cliché, représentant la façade du côté de la cour, est moins intéressant, mais complémentaire.

 Le Pont-Charron sur le Grand-Lay.

   Pendant ce temps là à Chantonnay, le 15 mars 1793 à 8 heures du matin, les commissaires Rouillé, Martineau et Mercicot, envoyés sur place par le Directoire de la Vendée, écrivaient à leurs collègues pour exiger en urgence : des armes, des cartouches, de l’argent, et 10 000 hommes « pour venir à bout des insurgés, déjà maîtres de Mouchamps ». Peu après, en fin de matinée, un groupe de ces insurgés, comme les appelaient les commissaires, attaquait et prenait la ville de Chantonnay pratiquement sans combat. Ils rencontrèrent les troupes républicaines cantonnées à Pont-Charron avec 700 gardes nationaux. Ils furent repoussés assez vigoureusement. Toutefois ils revinrent dans l’après midi du même jour avec des renforts commandés par de Verteuil et du Champ Blanc. Et cette fois-ci, ils mirent les Bleus en déroute qui abandonnèrent les munitions et la caisse du receveur contenant 3 400 livres. Des morts jonchaient le terrain parmi lesquels se trouvaient Pierre Marchegay (de Lousigny) à Saint-Germain-de-Princay et Charles Querqui (du Châtelier) à Puybélliard.

   Le lendemain 16 mars, les Républicains revinrent à Pont-Charron par Sainte-Hermine au sud mais ne parvinrent pas à reprendre la position et retournèrent par la même route. Une partie des troupes se dirigea au passage, à l’ouest vers la Réorthe en direction de Poëlfeu. Avec leurs canons ils bombardèrent le château de La Roche-Louherie dans la paroisse de Puymaufrais (aujourd’hui Bournezeau Saint-Vincent-Puymaufrais). Un groupe de soldats vint attaquer le logis. Comme celui-ci n’était défendu que par trois vieux serviteurs, ils s’en emparèrent facilement et le livrèrent aux flammes.

Le château de la Roche-Louherie vers 1900.

   La gentilhommière de La Roche-Louherie, restaurée au XVIIIème siècle, était occupée en 1793 par Charles-François de Béjarry, son épouse Françoise de Regnon de Chaligny et leur nombreuse famille. Trois de leurs fils furent officiers dans les armées vendéennes : Amédée, Alexandre et Gaspard. Trois autres fils partirent en émigration dans l’armée des princes : Benjamin, Prosper et Armand. Une fille périt dans les prisons du Mans. Enfin quatre filles participèrent à la campagne d’outre-Loire : Antoinette, Sophie, Aimée et Agathe.

   Les ruines des bâtiments furent relevées au début du XIXème siècle par Amédée de Béjarry qui avait survécu aux guerres de Vendée (il mourut le 10 mai 1844). Le château, que nous pouvons voir sur la carte postale ci-dessus a, pour sa part, été construit au même endroit vers 1875 par un architecte nantais pour le petit fils du précédent (également prénommé Amédée).

 Les grilles à l’entrée de la cour du château.

   Les boulets de canons tirés par l’artillerie républicaine ont été retrouvés au milieu des ruines de la gentilhommière lors des travaux de reconstruction au XIXème siècle. Ils ont été ensuite conservés et soudés aux piles métalliques constituant la clôture de la cour, comme on peut le voir sur la photographie ci-dessus.

L’arche du pont de Gravereau.

   Pour revenir à la bataille proprement dite, le lendemain de ce jour, le 17 mars 1793, le général Louis-Henri de Marcé (ci-devant comte) responsable de la défense des côtes vint prendre en personne la direction des opérations. Avec des gardes nationaux de La Rochelle et de Rochefort et les restes du 6ème régiment d’infanterie, il attaque Pont-Charron. Malgré une énergique résistance, débordés par le nombre, les Vendéens qui gardaient le pont sont repoussés et laissent 40 morts sur place. Le soir même le général de Marcé s’empare de Chantonnay pratiquement sans combat. Deux jours plus tard, le mardi 19 mars au matin il reçoit des renforts et dispose ainsi d’une armée assez nombreuse (3 600 hommes selon Chassin, 2 400 selon Emile Gaborit), de 100 cavaliers et 8 canons. Sans laisser de temps de repos à ses troupes il décide de quitter Chantonnay vers midi et de se diriger vers le nord pour faire sa jonction avec les troupes attendues de Nantes. Pour ce faire, il reprend tout naturellement le « cours royal » Nantes-Bordeaux (actuel RD 137) seule possibilité sérieuse de traverser rapidement la région.

   Les 200 hommes de son avant-garde, placés sous les ordres de l’adjudant général Fresat, traversent le bourg de Saint Vincent-Sterlanges sans incident et arrivent peu après au pont de Gravereau. Le pont n’est pas détruit mais sans doute rendu infranchissable par un fossé ou une solide barricade. Vers quatorze heures, le passage est rétabli et l’armée toute entière peut ainsi franchir la rivière « Le Petit Lay » et poursuivre son avancée. Il est possible qu’en attendant, les chevaux soient passés par le gué du moulin de Gravereau situé à proximité immédiate.

Carte de la Bataille dite de Gravereau.

   Quatre kilomètres plus loin l’armée, après avoir traversé le village de la Ferrandière (commune de Mouchamps), arrive sur la colline de La Guérinière (commune de l’Oie). L’avant-garde de son côté est parvenue jusqu’au pont suivant sur le Ruisseau du Parc. Ici aussi, il faut rétablir le passage obstrué et beaucoup de temps est encore perdu. Le général de Marcé, arrivé à son tour à la Guérinière, envisage à ce moment de bivouaquer pour la nuit dans cet endroit calme et assez bien situé.

   A cet instant, on aperçoit sur la colline en face, de l’autre côté du ruisseau, en avant de la Tanchère, de vagues mouvements de troupes. Le général donne aussitôt l’ordre de tirer plusieurs coups de canon dans cette direction. Le commissaire du gouvernement en mission Niou lui déconseille fortement car il est persuadé que ces hommes que l’on aperçoit sont en fait ceux de la légion nantaise qui viennent, comme prévu, à leur rencontre. Et comme pour lui donner raison on entend dans le lointain l’air du célèbre chant de la Marseillaise. Ils font donc cesser le feu et envoient l’aide de camp Dardillouze en reconnaissance. Ayant réussi à s’approcher discrètement, celui-ci voit nettement les paysans vendéens et entend distinctement les paroles inattendues de cette curieuse marseillaise qui disent :

« Allons les armées Catholiques

Le jour de gloëre est arrivé :

Contre nous de la République

L’étendant sanglant est levé, etc... »

   Ce chant devenu célèbre avait été transformé par l’abbé Lusson, curé de Saint Georges-de-Montaigu.

La RD 137 actuellement.

   La photo ci-dessus, prise au lieu dit La Guérinière en direction de Gravereau, représente la RD 137 Nantes-Bordeaux aujourd’hui. Pour retrouver sur cette photo le « cours royal » du XVIIIème siècle il faut l’imaginer sans la chaussée bitumée, sans les lignes et signaux routiers, sans les poteaux électriques, sans les arbres et la végétation au bord de la route (celle-ci étant récente). Il faut enfin enlever mentalement la banquette à droite qui avait été réalisée pour le chemin de fer à voie étroite, autrement dit le Tram, de la ligne Montaigu à L’Aiguillon-sur-Mer. Ce dernier circulait à cet emplacement durant la première moitié du XXème siècle.

   Quand l’éclaireur revient au rapport, deux heures ont encore été perdues à attendre. Les premiers Vendéens ont déjà attaqué l’avant-garde au niveau du pont sur le ruisseau. Celle-ci devant l’attaque frontale tient le coup et conserve la position. Pendant ce temps, tous les Vendéens, commandés par de Royrand, Sapinaud de la Verrie et Amédée de Béjarry, cachés par les haies ont progressé dans les champs et sont prêts à encercler l’armée républicaine. Cette dernière, en position de simple repos d’attente, s’étire tout le long de la route. Il faut préciser que les soldats hésitent à quitter la route, le seul endroit fiable dans le contrée, d’autant qu’il a plu un peu avant et que les terres agricoles sont détrempées en ce mois de mars.

   Les Vendéens, qui ont pris le temps d’encercler cette armée toute en longueur sur la route, profitent de leur supériorité numérique pour attaquer partout en même temps vers 18 heures. La résistance est très inégale. Certains points résistent mieux : l’avant-garde au niveau du ruisseau, l’état-major à la Guérinière, et l’arrière-garde près du pont de Gravereau.

   Par contre, ailleurs les Vendéens enfoncent facilement le dispositif. Les premiers soldats fuyant vers le sud gênent ceux qui voudraient résister. L’artillerie n’est plus positionnée pour ce genre d’attaque. Il faut préciser que les troupes arrivées en renfort à Chantonnay étaient des soldats tout juste incorporés, sans expérience militaire et de plus épuisés par quarante kilomètres de marche. La nuit commence à tomber rapidement, le général est débordé et la panique est maintenant générale. Les Bleus se sauvent en abandonnant tout sur la route. Ils ne pensent plus qu’à repasser le pont de Gravereau vers lequel ils se précipitent en désordre. Ils se sauveront ensuite en désordre, toujours vers le sud et ne pourront être regroupés qu’à Marans.

   A trois heures du matin les Vendéens sont totalement maîtres du champ de bataille. Ils peuvent récupérer à cet endroit tous les fourgons de l’armée contenant les vivres et surtout des fusils, de la poudre ainsi qu’un canon. Ils vont pouvoir désormais remplacer leur faux par un fusil et disposer d’artillerie .Les historiens du XIXème siècle évaluaient le nombre des morts à 750 environ, républicains pour les deux tiers au moins. A notre époque on estime que les chiffres de 400 morts républicains et 30 vendéens seulement seraient plus proches de la réalité.

Fragment de la carte de Cassini du XVIIIème siècle.

   Le résultat de cette bataille ne fut connu dans la capitale que quelques jours plus tard, le 23 mars 1793. Les membres du Comité installés, comme la Convention, au palais des Tuileries à Paris, recherchèrent sur une carte l’endroit précis de ce premier grand affrontement. Ils utilisaient bien entendu à cette fin les cartes tracées au cours du XVIIIème siècle par Cassini. C’est précisément le fragment concerné qui est reproduit ci-dessus. Quand ils eurent trouvé Gravereau sur la carte et s’être rendu compte qu’il se situait dans le nouveau département de la Vendée, ils prirent l’habitude de ne parler que de ce dernier. Et c’est ainsi que toute l’Insurrection de l’Ouest (à l’origine plutôt angevine) devint désormais et pour tous « La Guerre de Vendée ».

   Les armées vendéennes emportèrent leur butin au château de l’Herbergement-Ydreau. Et celui-ci devint alors un camp de regroupement, un arsenal et le quartier général de l’armée du Centre.

   Dans les jours qui suivirent les troupes de Royrand parcoururent les environs de Chantonnay pour s’assurer que leurs ennemis n’y avaient pas laissé de petites garnisons de soldats. Au début du mois d’avril suivant les Bleus essayèrent bien par deux fois de reprendre Pont-Charron mais en vain, car ils furent repoussés à chaque fois par les 800 paysans commandés par Amédée de Béjarry.

 La croix de La Guérinière.

   En 1949, l’association « Le Souvenir Vendéen » décida d’installer un calvaire pour rappeler le souvenir de cette bataille et en marquer l’emplacement. Entre plusieurs endroits possibles, ils choisirent d’installer la croix au sommet de la colline de la Guérinière à peu près à l’emplacement où devait se trouver l’état-major républicain. Le préfet de la Vendée avait essayé, sans succès, d’empêcher l’inauguration car il craignait que, peu après la libération à la fin de la seconde guerre mondiale, elle ne suscite des réactions farouchement hostiles. La croix qui a été installée est l’œuvre de l’architecte Louis Esgonnière du Thiboeuf (Bournezeau). Sur la photo ci-dessus, très récente, on peut s’apercevoir que le double cœur vendéen en bronze a été volé.

 La plaque sur le socle de la Croix.

   La belle plaque de bronze posée sur le socle de la croix porte l’inscription suivante : « Ici fut remportée // le 19 MARS 1793 // par les gars du bocage // commandés par // Royrand et Sapinaud // LA VICTOIRE // qui donna son nom // Aux Guerres de Vendée // souvenir vendéen 1949.

Animation historique lors de l’inauguration.

   En 1993, dans le cadre des commémorations du bicentenaire des Guerres de Vendée organisées par le Conseil Général, des travaux étaient envisagés au monument de la Guérinière. Il était prévu de reculer la croix, située trop près de la grande route et d’aménager autour un parking, une mini aire de repos et un espace paysagé. Il s’avéra en fin de compte que le calvaire, de par son état et sa conception d’origine, ne pourrait pas être déplacé sans dommage. Le reste des travaux fut réalisé mais le nouvel emplacement prévu pour la croix est resté vide. La cérémonie d’inauguration était prévue le 5 septembre 1993, le même jour que la bénédiction du nouveau monument du camp des Roches à Saint Germain-de-Princay. La cérémonie à la Guérinière commençait par une animation représentant un combat entre troupes républicaines et vendéennes.

Un groupe d’acteurs de l’animation.

   La photo ci-dessus représente, à la suite de l’animation lors de l’inauguration, le groupe des acteurs costumés issus des bénévoles du spectacle du Puy-du-Fou.

L’inauguration des aménagements de la Guérinière.

   Le cliché ci-dessus montre cette fois-ci la cérémonie d’inauguration proprement dite. Philippe de Villiers Président du Conseil Général coupe le ruban qui, selon les usages du pays, est tricolore. Deux petites Vendéennes lui ont présenté les ciseaux sur un coussin. Il est entouré, de gauche à droite par votre serviteur (à cette date Conseiller Général du canton de Chantonnay), Michel Crucis Sénateur-Maire de Chantonnay, Emmanuel Catta Président du Souvenir Vendéen, Bertrand de Villiers Conseiller Général du canton des Essarts et Ernest Soulard Maire de l’Oie. Conformément à la coutume, le ruban est soutenu par les élus ayant participé activement au projet. Philbert Doré-Graslin, un des principaux initiateurs, n’est malheureusement pas visible sur cette photo. On aperçoit au fond les participants, comptant environ 300 personnes et les cars. La manifestation, commencée au monument de Pont-Charron à Chantonnay devait se poursuivre ensuite à Saint Germain-de-Princay.

Le site actuel de la Guérinière.

   Sur cette dernière photo on peut voir le site actuel de la Guérinière en bordure de la RD 137. On distingue la croix à gauche, l’aire de repos et tout à droite le pupitre en bois portant des indications sur le déroulement de la bataille du 19 mars 1793.

                                                    Chantonnay le 24 octobre 2016




LA BATAILLE DU CAMP DES ROCHES

5 septembre 1793

Après le douloureux et meurtrier échec lors de la tentative pour prendre la ville de Luçon le 14 Août 1793, les Vendéens avaient la volonté de prendre leur revanche. Aussi, le nouveau Généralissime Maurice-Louis Gigost marquis d’Elbée avait décidé, pour déstabiliser les Républicains, d’attaquer un camp retranché établi dans le bas bocage vendéen, dit « Le Camp des Roches ».

Ce dernier avait en effet été installé au lieu-dit Les Roches Barritaud essentiellement sur le territoire de la commune de Saint-Germain-de-Princay. Toutefois, à priori, rien ne nous indique que le village proprement dit ou le vieux château appartenant à la famille de Beauharnais, situés à proximité immédiate, aient été inclus dans le périmètre retranché.

Le camp s’étendait en réalité des deux côtés du cours royal Nantes-Bordeaux et était également traversé par le chemin dit des Petites Roches. Il allait au nord jusqu’au village des Garnaudières de Saint-Vincent-Sterlanges. Il avait été construit à cet endroit précis : - Tout d’abord parce qu’il permettait ainsi de contrôler le seul axe routier valable traversant le département du nord au sud ; - Ensuite parce d’ici il suffisait de verrouiller : le pont de Gravereau au nord sur la rivière Le Petit Lay et celui de Pont-Charron au sud sur la rivière Le Grand Lay pour éviter les incursions ; - Enfin parce qu’il permettait d’intervenir d’ici au centre du bocage vendéen, aux Herbiers, à Saint Fulgent, ou aux Essarts.

Le général Royrand responsable de l’armée du centre et donc du secteur de Chantonnay avait invité les autres généraux à le rejoindre aux Herbiers. Au début du mois de septembre, 18000 Vendéens étaient déjà rassemblés à cet endroit. L’attaque était prévue à l’aube du 5 septembre 1793.

Les Républicains connaissaient la menace et ils étaient informés par leurs éclaireurs et leurs postes avancés des mouvements de troupes suspects, vers Saint-Prouant et Monsireigne. L’état-major républicain avait donc établi son plan de défense en disposant ses troupes aux endroits possibles des attaques : à Saint-Vincent-Sterlanges au nord, à Puybélliard à l’est et à Pont-Charron de Chantonnay au sud. Tout le côté ouest n’était pas défendu, mais, comme prévu, il n’a pas été attaqué. En l’absence du général Tuncq, la bataille était commandée par le général Lecomte. Ce dernier avait demandé au général Chaldos de le rejoindre, mais retenu à Fontenay avec environ 3500 hommes, il ne pourra pas venir l’aider.

AU SUD, le général Lecomte avait envoyé le 7ème bataillon d’Orléans renforcer le 4ème bataillon de la Dordogne qui avait en charge la garde du poste de Pont-Charron. Blessé, Bonchamps n’avait pas pu venir mais il avait envoyé son armée sous les ordres de Fleuriot. Ses troupes ont alors fait un mouvement tournant et arrivent par le Boupère, Chavagnes-les-Redoux, Bazoges-en-Pareds. A partir de ce dernier endroit, la partie principale de l’armée commandée par Fleuriot avec l’aide de d’Autichamps avance par La Jaudonnière pour prendre le poste de Pont-Charron. L’autre partie se dirige vers Saint-Mars-des-Prés puis Puybélliard.

A Pont-Charron, les soldats bleus, dès qu’ils aperçoivent les paysans couvrir en très grand nombre le sommet de la colline, vers le lieu dit le Lion situé à moins de 2 kilomètres, se sauvent en direction de Chantonnay sans tirer un coup de fusil ni utiliser le canon. L’adjudant général Marceau s’efforce de les regrouper et de leur faire reprendre position sur les hauteurs de la Tabarière, puis du Riadet mais en vain car il est déjà trop tard. Il fait alors retraite en direction des hauteurs de la Mouhée un peu plus loin vers l'ouest, où il parvient un temps à leur faire garder cette position. Mais il est trop tard, les Vendéens ont déjà commencé à investir le bourg de Chantonnay.

Les hauteurs de la Mouhée, le château n’a été construit qu’en 1896.

L’adjudant-général Marceau, voyant qu’il y a plus important à faire ailleurs, part alors avec un groupe de soldats rejoindre les troupes à Puybélliard, en contournant Chantonnay par le sud au lieu dit la Barbotière (appelé depuis le XIXème siècle Le Moulinet) puis par les villages de l’Eolière et des Grouas. Sous la pression de plus en plus forte des Blancs, les troupes restées à la Mouhée finiront par abandonner totalement le terrain et se sauver dans les bois du château du Pally situés à 1 km 500 derrière eux à l’ouest puis rejoindre Bournezeau.

A l’EST, le général Lecomte avait dès le début de la bataille envoyé le 10ème bataillon d’Orléans avec les bataillons Le Vengeur, l’Egalité et l’Union repousser les vendéens à Puybélliard. C’est effectivement à cet endroit que convergent trois armées vendéennes. Au centre, le Généralissime d’Elbée lui-même avec ses Angevins arrive par Chavagnes et Sigournais. A gauche les autres soldats de d’Elbée arrivent par Saint-Prouant, Chassay-l’Eglise. A droite, ce sont les autres soldats de Bonchamps qui viennent par Saint-Mars-des-Prés et les hameaux de Ponsay et de Din-Chin. N’oublions pas qu’à la fin du XVIIIème siècle il n’y a qu’une route vraiment digne de ce nom « le cours royal » Nantes-Bordeaux (actuelle RD 137). Les grandes routes Bournezeau-Chantonnay-La Chataigneraie-Parthenay (actuelle RD 149 bis) et Chantonnay-Pouzauges-Bressuire (actuel RD 160 bis) n’existent pas encore puisqu’elles ont été construites au milieu du XIXème siècle. Le passage par Puybélliard étant pratiquement inévitable, les Bleus avaient donc logiquement concentré des forces à cet endroit.

Le bataillon de Vengeur réussit dans un premier temps à faire reculer les assaillants vendéens ; mais ils arrivent toujours de plus en plus nombreux et les Républicains reculent à leur tour. L’adjudant général Marceau veut faire donner la cavalerie qui est en position entre Chantonnay et Puybélliard, mais celle-ci refuse de s’engager. Les récits de l’époque relayés par les historiens du XIXème siècle nous affirment qu’ils l’ont fait sous « les prétextes aussi coupables que frivoles ». En réalité, il est très facile de comprendre pourquoi la cavalerie ne s’est pas engagée. Le terrain entre Puybélliard et Sigournais est essentiellement couvert par les nombreux petits fiefs du vignoble de la « Folle » de Sigournais et de petits jardins séparés par d’innombrables murs en pierres sèches. Ces célèbres « murgets » étaient bâtis par les propriétaires avec les nombreuses grosses pierres trouvées dans le terrain et qui gênaient les cultures. D’ailleurs, on les aperçoit sur la carte postale reproduite ci-dessous, en bordure du chemin. Ce cliché a été pris vers 1910 sur le chemin de Sigournais à Puybélliard au même emplacement où se sont déroulés une partie des combats. Le paysage n’avait guère changé depuis 1793. La cavalerie se retire donc tout simplement parce que le terrain n’est absolument pas approprié à une charge de cavalerie.

Les combats sont particulièrement rudes à Puybélliard. Le général Lecomte y a envoyé en renfort les 3ème et 6ème bataillons de la Charente Inférieure. Ceux-ci repoussent encore une fois les Vendéens mais sous la pression de plus en plus forte, les Bleus sont obligés de décrocher et reculent de manière désordonnée en direction de Chantonnay. A cet endroit, ils rencontrent alors une partie des troupes de Fleuriot qui, remontant depuis la Tabarière, sont déjà arrivées jusque là. La bataille devient alors un ensemble de simples corps à corps non planifié et parfaitement confus, ce qu’en terme militaire on appelle « une bataille de soldats ». D’autres Vendéens poursuivent leur marche en direction du Camp des Roches qui n’est plus distant que de 4 km.

AU NORD, à proximité du Camp des Roches proprement dit, le général Lecomte a envoyé 150 cavaliers et le bataillon du Loiret. Ceux-ci en prévision de l’assaut se sont installés à la sortie au nord du bourg de Saint-Vincent sur les terrains dominant la vallée du Petit Lay. Pour les atteindre, les Vendéens doivent donc franchir la rivière sous le feu de l’ennemi. Le pont de Gravereau, en partie détruit, avait été partiellement rétabli par le général de Marcé à la veille de la bataille de Gravereau le 19 mars 1793. Il était donc en partie utilisable. De plus, au début du mois de septembre, on pouvait encore facilement passer à gué sur la chaussée du moulin de Gravereau situé à proximité immédiate.

L’entrée de Saint-Vincent-Sterlanges au XVIIIème siècle était assez peu différente de celle visible sur cette carte postale vers 1910, à l’exception toutefois du calvaire et des poteaux télégraphiques. On aperçoit bien le cours royal se dirigeant à perte de vue en direction des Quatre Chemins de l’Oie.

Royrand, dont le quartier général était à Montaigu, était revenu du conseil de guerre des Herbiers par Vendrennes et avait regroupé la majeure partie de ses soldats à L’Oie. L’Armée du Centre avait en effet établi dans cette commune, depuis le 16 mars 1793, un camp fortifié et un arsenal dans l’enceinte du château féodal de l’Herbergement-Ydreau (dit camp des Quatre Chemins). Arrivé à Gravereau à 5 heures du matin, Royrand est prêt à attaquer mais il attend d’entendre tonner au sud les canons de Pont-Charron pour se coordonner avec les autres armées. Il attend en vain puisqu’à Pont-Charron les Bleus se sont sauvés comme nous l’avons dit plus haut. Il se résout finalement à attaquer mais il sait que son rôle consiste seulement à contenir ses adversaires à cet endroit. L’attaque devient difficile car les Bleus sont en bonne position sur les hauteurs de Saint-Vincent et derrière la rivière le Petit Lay. Il marque le pas et doit faire donner l’artillerie de Rostaing pour pilonne les positions des Bleus. Après l’arrivée d’Henri de La Rochejaquelein il intensifie l’attaque et repousse les Bleus en direction du Camp des Roches qui n’est distant que de 2 km.

Quand Royrand arrive à son tour au Camp des Roches, qu’il a fait pilonner par son artillerie, il est largement dégarni de ses troupes et la plus grande confusion y règne déjà. Toutefois, les redoutes du camp tentent encore de résister. Ici aussi la bataille se transforme en un combat au corps à corps farouche. Il est tard, la nuit tombe, les Bleus finissent par abandonner le camp et font retraite en direction de Chantonnay. Ils rencontrent alors leurs collègues qui de leur côté fuyaient Chantonnay en espérant pouvoir se refugier au camp. Ils se sauvent tous en prenant les chemins qui se dirigent vers l’ouest en particulier celui des Trois-Pigeons, La Salverse, La Marzelle. Ils continueront leur route par Saint-Hilaire-le-Vouhis puis Bournezeau jusqu'à La Roche-sur-Yon.

Toutefois, les combats se poursuivent encore, surtout aux abords de Chantonnay du côté de Puybélliard mais dans un désordre total. Des compagnies républicaines entières ont déjà abandonné le terrain. Il est 9 heures du soir, seul le général Lecomte résiste encore au milieu des fragments de quelques bataillons presque cernés. Une heure plus tard, comprenant que tout est perdu, il abandonne et part par la route de Chantonnay à Saint-Hilaire-le-Vouhis. La bataille est terminée. S’apercevant que certains Bleus sont montés aux arbres pour se cacher dans les feuillages, les Vendéens vont chercher des lanternes pour les descendre plus facilement. Les trois cents hommes du bataillon le Vengeur considérés comme responsables des massacres de Luçon vont tous être exécutés.

Les estimations les plus généralement admises fixent aux alentours de 4500 le nombre de tués dans cette bataille (2/3 de Bleus et 1/3 de Blancs). Certains historiens parlent de 2000 morts, d’autres sont allés jusqu’à 7000. Les Vendéens récupèrent à cette occasion : 60 véhicules de vivres ou de munitions, plusieurs canons et beaucoup de fusils. Cette victoire vendéenne entraîne la destitution du général Tuncq mais ces résultats sont sans lendemain malgré son coût en vies humaines. En effet, quelques jours plus tard, le général Lechelle vient incendier Bournezeau et quelques villages environnants. Et, dès le 15 septembre, le général Beffroy réussit à reprendre Chantonnay presque sans combat. Ses soldats en profitent pour incendier le château du Pally à Chantonnay et celui de Sigournais.

Les restes du vieux château du Pally

Si on réfléchit aux conséquences de ce combat sur le terrain, on est amené à se demander à quels endroits ont pu être enterrés ces très nombreux cadavres. Officiellement, nous ne le savons pas. Les traditions orales viennent tout de même nous fournir quelques indications plus ou moins fiables. A la sortie nord de Saint-Vincent-Sterlanges, en direction de Gravereau un grand champ, sur la gauche, a la réputation de contenir les corps des Vendéens. C’est possible puisque nous sommes ici pratiquement à l’emplacement des combats. En outre, indication fort précieuse et significative, le lieu-dit situé juste en face porte, depuis le XIXème siècle, le nom de : « Le Paradis ». Un autre champ attenant à de la RD 137 et le chemin des Petites Roches, devant le monument actuel est désigné comme contenant les corps des Républicains. Ce n’est pas du tout impossible. On sait par ailleurs qu’en 1880, l’historien local Louis Brochet a découvert non loin, près d’un fossé, un squelette avec un fusil brisé, un chapelet et une cuiller en étain. Enfin un troisième champ entre Chantonnay et Puybélliard, près du lieu-dit Pierre Brune, était également censé contenir des morts des guerres de Vendée. Malheureusement quand on a installé, à cet endroit, la zone industrielle, à notre connaissance, il n’a rien été trouvé !

Dans le cadre de la préparation par le département de la Vendée des commémorations du bicentenaire des Guerres de Vendée en 1993, l’association « Le Souvenir Vendéen » souhaitait élever un monument de granit en forme d’obélisque à l’emplacement du Camp des Roches (c'est-à-dire dans la commune de Saint-Germain-de-Princay), pour rappeler le souvenir de cet événement. Le Vice-Président Philbert Doray-Graslin et votre serviteur, à l’époque Conseiller Général du canton de Chantonnay, s’étaient chargés du suivi du dossier, de la surveillance des travaux et du financement par le département. La plaque gravée sur l’obélisque porte l’inscription suivante : « Ici était établi / LE CAMP DES ROCHES / conquis par les Vendéens / le 5 septembre 1793 / Souvenir Vendéen 1993 ».

La photo ci-dessus nous montre l’inauguration et le dévoilement de la plaque puis la bénédiction du monument, le 5 septembre 1993. On reconnaît sur la photo, de gauche à droite : Le chanoine Loiseau représentant de l’Evêque de Luçon (habillé pour la Bénédiction), le Maire de Saint Germain-de-Princay Gustave Gautron, Philbert Doray-Graslin vice-président du SV, votre serviteur, le Président de l’association Le Souvenir Vendéen Emmanuel Catta (de dos) et enfin Philippe de Villiers, Président du Conseil Général (en partie caché).

La photo ci-dessus et la suivante ont été prises le Samedi 7 septembre 2013 lors de la cérémonie d’anniversaire des 20 ans du monument. Cette sympathique manifestation avait été organisée par Ghislaine Herbreteau Présidente de l’Association : « Les Brigands du Bocage ». Les participants avaient tout d’abord procédé au dévoilement d’une plaque posée en l’honneur de Gaspard de Béjarry au logis de Froutin, avant de participer à un dépôt de gerbe au Camp des Roches, puis d’assister à la messe célébrée par l’abbé Loddé dans l’église paroissiale de Saint-Germain-de-Princay et enfin d’écouter une conférence de l’historien Reynald Sécher intitulée «  du Génocide au Mémoricide ».

                                                            Chantonnay le 12 Mai 2016

Dans un premier article figurant sur « Les pages d’Histoire » du nouveau blog en construction de « La Chouette de Vendée » nous avions évoqué les circonstances et le lieu du décès du général Louis-Célestin Sapinaud de la Verrie.

Depuis cette date, plusieurs lecteurs (et des plus illustres) nous ont demandé s’il y aurait une suite. Aussi, nous avons pensé poursuivre précisément le même récit en nous interrogeant :


OU EST LA TOMBE DE SAPINAUD DE LA VERRIE ?


Nous avions vu dans le précédent article que l’adjudant-général Canier avait franchi de nuit la rivière Le Grand Lay au gué non défendu de la Salissonnière. Il s’était ensuite avancé pour prendre à revers le poste vendéen installé au Pont Charrault dans la nuit du 24 au 25 juillet 1793, vers trois heures du matin. Le général Sapinaud accompagné d’une trentaine de cavaliers avait surgi à ce moment-là et avait été tué. Avec lui, Jouffrien de Bazoges et vingt autres cavaliers étaient restés sur le terrain.

Conformément aux ordres qu’il avait reçus, Canier prit alors le chemin suivi par les Vendéens, mais en sens inverse, pour se rendre à Pont-Charron et prendre ici aussi les Vendéens de ce poste à revers. Pendant ce temps, son supérieur le Général Tuncq, arrivant de Sainte Hermine par le cours royal, avec 1200 fantassins et 80 cavaliers, attaqua frontalement Pont-Charron. Les Vendéens, découragés par la mort de leur général, fléchirent, abandonnèrent le terrain mais se regroupèrent à peu de distance au nord pour résister à une avancée dans le bocage. Les Bleus investirent Chantonnay, capturèrent des bestiaux et peut-être même incendièrent les premières maisons du bourg, mais ils ne s’y installèrent pas à demeure. Dans son livre « Souvenirs Vendéens » Amédée de Béjarry y fait allusion : « Ceux-ci (les Bleus) ne l’osèrent pas. Entrés dans le bourg, ils prirent à la hâte ce qu’ils trouvèrent et repassèrent le Lay, n’osant pas essayer de garder des postes importants qui leur auraient permis de porter en avant leur ligne d’opération ». De son côté Louis-Dominique Ussault (un des dix cavaliers de l’entourage de Sapinaud rescapé) en a fait le récit suivant : «    J’y perdis mon cheval et fus blessé. Trois heures après l’affaire, je me transportai sur le lieu du combat près de la Fenestre et les Gaubardières et fis enlever vingt-deux cadavres qui furent déposés dans le cimetière de Chantonnay ». Ussault nous a déjà démontré qu’il usait souvent d’une large approximation géographique. La Fenestre et les Gaubardières sont respectivement à 1 km 600 et 1 km 400 du lieu du combat. Il est également peu probable qu’il ait eu la possibilité et le temps de faire transporter les corps « trois heures plus tard » c'est-à-dire en fin de journée du 25 juillet, mais bien plutôt le matin du 26 juillet. En revanche, il vient confirmer la tradition orale selon laquelle les corps auraient été emportés au cimetière de Chantonnay et non à celui de Saint Philbert. Ce qui est, à priori, surprenant car le cimetière de Saint Philbert est situé à peine plus d’1 km alors que celui de Chantonnay est à 4 km 500. Mais cette décision était somme toute logique car Saint Philbert-du-Pont-Charrault, situé au-delà du Lay, n’appartenait pas à la Vendée Insurgée. Enterrer les corps à Saint Philbert aurait donc équivalu à les placer en territoire ennemi.

Aussi, le lendemain 26, quelques Vendéens partirent à la recherche des corps de Sapinaud et de ses vingt et un compagnons. Ils les ramenèrent à Chantonnay et les inhumèrent dans une fosse commune creusée au cimetière de la ville. Ce dernier était situé à cette époque à l’emplacement de l’actuelle place Carnot (dénomination peu opportune). La tradition orale, transmise par la famille Décran, fossoyeurs de père en fils, affirme qu’ils ont été placés « à peu de distance derrière le calvaire au milieu du cimetière ».

Cadastre de 1824

A l’époque de la Restauration, il n’y a pas eu à notre connaissance de transfert des corps ni même de projet de monument commémoratif. Par contre la tombe a vraisemblablement été respectée, d’autant plus que la commune ne manquait pas de place. En revanche, à partir du milieu du XIXème siècle la place manqua cruellement dans le cimetière, au point que l’on commença à enterrer les morts dans le champ attenant au sud. De plus, la Municipalité de l’époque, comme le gouvernement, étaient peu favorables au souvenir des guerres de Vendée. Il est donc très vraisemblable que le terrain fut réutilisé à ce moment là. Comme on le faisait couramment à l’époque, on opéra une réduction de squelette. C'est-à-dire que les ossements furent très probablement regroupés et enterrés plus profondément au même endroit, selon l’usage.

De toute façon, en 1878 la commune de Chantonnay ouvrit le grand cimetière actuel, dans la plaine de Charlère, en bordure de la route de la Châtaigneraie. A partir de ce moment là, les familles eurent dix ans pour éventuellement y transférer les corps de leurs défunts inhumés dans le vieux cimetière. La partie ouest de cet ancien cimetière devint une place publique (le champ de foire aux cochons) inaugurée le 14 juillet 1890. La partie orientale fut lotie pour construire une série de maisons et coupée au centre par la nouvelle rue Lamartine. En réalité, les frères Brochet, industriels, achetèrent tout le terrain et y construisirent à partir de 1891 leurs deux maisons, leur atelier et les petites maisons de la cité ouvrière. Ainsi, la première maison faisant l’angle (actuel numéro 5 place Carnot) fut pratiquement construite au dessus de l’ancienne fosse contenant le corps de Sapinaud de la Verrie. Comme la commune de Chantonnay ne possédait pas d’ossuaire à cette date (il ne fut construit qu’en 1910), les maçons enfouirent très certainement les ossements plus profondément au même endroit comme ils en avaient alors l’habitude. Il ne devait évidemment rester de ces ossements déjà déplacés que quelques petits éléments et de la poussière, mais il est très probable qu’ils s’y trouvent encore. Il n’existe donc plus aujourd’hui, à proprement parler, de tombe de Sapinaud de la Verrie. On pourrait toutefois envisager qu’une inscription à cet endroit puisse en perpétuer le souvenir.

Sur la photo ci dessus, cette maison est visible au centre avec ses ouvertures en briques rouges, l’arbuste et le stop marquant l’emplacement du calvaire. Ajoutons que par une coïncidence amusante cette construction est aussi la maison natale de l’auteur de ces lignes.

                                                                                           Chantonnay le 25 mars 2016

                                                                                          

LA MORT DE SAPINAUD DE LA VERRIE

 

Dans le bulletin N° 4 de la revue « Le Cri de la Chouette » en 2013, nous nous étions interrogés sur l’emplacement exact de la tombe de Sapinaud de la Verrie à Chantonnay. Nous allons compléter ces propos en évoquant ici les circonstances mêmes de la mort de celui-ci. Cet événement avait été rappelé, les 1er mai 2013 et 8 mai 2014, quand l’association « les Brigands du Bocage » avait procédé au débroussaillage de la croix de Pont-Charron, située rue du Bazar, au village de la Tabarière à Chantonnay.

Le contexte général de ce décès est désormais connu. En Juin 1793, le général Royrand, responsable de l’Armée du Centre, installé à Montaigu, avait chargé son adjoint Louis-Célestin Sapinaud de Bois Huguet dit «de la Verrie » de surveiller les ponts sur le Lay parce qu’ils étaient considérés à l’époque comme « la Porte du Bocage ». Ce dernier avait alors installé son propre quartier général à Chantonnay au Grand-Logis, demeure de Constant Marchegay de Ludernière. Cette demeure, qui existe encore, a été jusqu’à ces dernières années la résidence de Monsieur Michel Crucis sénateur-Maire de Chantonnay et Président du Conseil Général (3 avenue Henri Rochereau).

Or, dans la nuit du 24 au 25 juillet 1793, vers trois heures du matin, les Bleus, commandés par Canier et sous la conduite d’un guide félon, franchirent la rivière le Grand Lay au gué de la Salissonnière (7). Ils s’avancèrent ensuite pour prendre à revers les avant-postes vendéens de Pont-Charrault (situé en aval). Les renseignements météorologiques du mois de juillet 1793 nous apprennent que cette nuit la pleine lune avait encore 96 % de sa luminosité. Prévenu en pleine nuit, alors qu’il dormait à son quartier général de Chantonnay, Sapinaud se précipita à cheval et se dirigea tout d’abord vers Pont-Charron au sud. Ce fameux pont à une seule arche faisait l’admiration générale des environs et avait été construit par les ingénieurs du roy Louis XV, vers 1750, sur le cours royal Nantes-Bordeaux (actuel RD 137).

A partir de là, les renseignements sont peu précis, voire divergents. Le 3 octobre 1948, le Souvenir Vendéen a inauguré un calvaire sur les hauteurs de Pont-Charron qui porte l’inscription suivante : « En souvenir des Vendéens du Bocage et de leur général Sapinaud de la Verrie glorieusement tombés au Pont-Charron, 19 mars et 25 juillet 1793, Souvenir Vendéen 1948 » (2). Ce texte a souvent porté à confusion. En réalité, le Souvenir Vendéen a voulu commémorer à cet endroit les différents combats de Pont-Charron et évoquer par la même occasion la mort de Sapinaud de la Verrie. Toutefois, l’inscription ne dit pas expressément que ce dernier soit mort précisément à Pont-Charron. De la même manière la gravure ci-dessous, extraite de l’Album Vendéen et intitulé Le Pont-Charron, laisse penser qu’il s’agit du combat durant lequel est mort Sapinaud, mais sans l’affirmer vraiment.

Amédée de Béjarry (II) dans son livre « Souvenirs Vendéens » écrit:« … il se retourna vers l’autre pont, se portant en toute hâte sur le lieu de l’attaque. Mais, ne sachant où était l’ennemi, il envoya...quelques hommes, pour reconnaître le terrain. Ils n’avaient pas fait deux cents pas qu’ils aperçurent, dans un pli de terrain, un corps républicain, couché à plat ventre. Les éclaireurs firent volte-face et l’ennemi, se voyant découvert, fit sur ces quelques hommes une décharge qui ne les atteignit pas ; mais une balle alla frapper derrière eux le pauvre général, qu’ils virent tomber et se débattre sans pouvoir le secourir. Sapinaud fut achevé à coups de sabre par les cavaliers républicains ». N’oublions pas toutefois que l’auteur n’est que le fils du témoin oculaire et qu’il écrit 91 ans après l’évènement, en 1884.

De son côté le comte de La Boutetière écrit: « …Cette nuit même, Sapinaud était sorti de Chantonnay avec une vingtaine d’hommes pour faire une reconnaissance du côté du gué... Dans un chemin encaissé, sinueux, les deux troupes se trouvèrent subitement face à face à une demi-portée de fusil ; en un instant le feu de Républicains eut dispersé le petit nombre de leurs ennemis. Sapinaud, qui marchait à la tête des siens, était tombé mortellement frappé de plusieurs balles ». Ici aussi l’auteur écrit beaucoup plus tard en 1868 et en faisant appel à différents souvenirs.

Notons également que d’autres historiens confirment la fusillade mais la placent « vers les Gabardières ». En outre, les traditions orales n’ont retenu que le sabrage et le décès à la ferme du Gué (près de Pont-Charrault). Aussi, nous allons essayer de préciser le parcours à l’aide d’un plan :

Nous savons donc avec certitude que Sapinaud, partant de Ludernière à Chantonnay (1) a évidemment emprunté le cours royal par la Tabarière pour se rendre tout d’abord au poste de garde de Pont-Charron (3). Trouvant le secteur parfaitement calme il se dirigea ensuite directement vers Pont-Charrault (en amont du Grand Lay). Pour cela, il n’avait d’autre solution que de prendre le chemin de la ferme de Moinet et d’aller ensuite traverser la rivière La Mozée au gué près de Pautay (4). A partir de là, il avait trois possibilités :

1.    Le chemin au nord : Celui-ci aurait le mérite de passer effectivement à côté des Gabardières (8). Cependant, on voit mal pourquoi il aurait pris ce chemin qui allait précisément dans la direction opposée à celle de Pont-Charrault. Il faut sans doute prendre le « vers les Gabardières » comme une large approximation ;

2.    Le chemin au sud : Celui-ci aurait le mérite d’aller directement à Pont-Charrault et au Gué mais il s’agissait d’un très mauvais sentier particulièrement difficile. Or, la rapidité était le principal objectif de la troupe vendéenne dans cette affaire (à cheval) ;

3.    Le chemin au centre : Il s’agit là aujourd’hui du parcours le plus évident et le plus facile, surtout en pleine nuit. Toutefois cette route actuelle a été aménagée à la fin du XIXème siècle en privilégiant ce chemin parmi les autres conduisant auparavant à Vildé. Il a en outre l’inconvénient d’être plus long.

4.    Le chemin intermédiaire : C’est en fait la route la plus ancienne qui, dans son prolongement se dirige vers la Boutetière et Saint Mars-des-Prés. Il ne faut pas oublier que les cavaliers avaient eu l’occasion de reconnaitre plusieurs fois le terrain les jours précédents et qu’il faisait relativement clair cette nuit là.

Par conséquent, nous avons la conviction que Sapinaud et ses hommes seraient passés par le village de Vildé et le quatrième chemin. De ce fait, la rencontre avec les soldats républicains et la fusillade auraient eu lieu juste avant le croisement avec la route de Chantonnay à Saint Philbert-du-Pont-Charrault, au bas de la côte (5). Et ainsi, Sapinaud aurait pu effectivement être achevé à coups de sabre 200 mètres plus loin, à la ferme du Gué à proximité du pont de Pont-Charrault (6).

En 1980, le Conseil Municipal a décidé de donner le nom de « rue du général Sapinaud de la Verrie » à la route qui conduit du Pont-Charrault à la place de l’église de Saint-Philbert.

NB. Les chiffres entre parenthèses renvoient aux emplacements sur la carte ci-dessus.



Sur la première photo on aperçoit l’arrière du calvaire dans le site de Pont-Charron. Le cours royal correspond à la voie visible juste devant le calvaire et à celle qui monte au sommet de la colline à gauche, les autres voieries sont des XIXème et XXème siècles, de même que la carrière de pierre. La seconde photo représente la cérémonie du bicentenaire le 5 septembre 1993 devant la croix. On y reconnaît de gauche à droite : Emmanuel Cata Président du Souvenir Vendée, Dominique Souchet, Philippe de Villiers Président du Conseil Général, Jacques marquis de Lespinay (propriétaire du terrain), Michel Crucis Maire de Chantonnay et Maurice Bedon Conseiller Général du canton.

 

                                                                                    Chantonnay le 12 mars 2016

                                                                                            Maurice BEDON




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